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DE LA NATURE DES CHOSES

L’avenir qui l’accable et l’emplit d’amertume,
Les flots noirs du sommeil léthargique, et l’oubli
860Du délire, où l’esprit s’abîme enseveli !

Ami, la mort n’est rien, dès que l’âme est mortelle.
De même qu’en ces jours où la grande querelle
Fit régner la terreur sous la voûte des cieux,
Quand des Carthaginois le choc tumultueux
Ébranla tout au loin sur la terre et sur l’onde,
Quand Rome put douter de l’empire du monde,
Nous n’avons pas souffert, nous qui n’existions point :
De même, après la mort, lorsque sera disjoint
Ce nœud d’âme et de chair où tout l’homme réside,
Rien n’atteindra nos sens, ou notre être, mot vide,
Car nous ne serons plus ! Rien : dût avec la mer
La terre se confondre et l’onde avec l’éther !

Si même, après que l’âme à la forme est ravie,
En nos restes persiste un sentiment de vie,
Cela n’est plus en nous et ne nous est plus rien,
Puisque l’âme et le corps ont rompu leur lien,
Hymen d’où la personne émane tout entière.
En vain, de nos débris rassemblant la poussière,
Le temps ranimerait et renverrait un jour
880Nos éléments groupés dans le même contour ;
Jetterait-il un pont d’une existence à l’autre ?
Notre substance était, avant d’être la nôtre ;
Mais ceux que nous étions sont pour nous aussi morts
Que les vivants futurs qui reprendraient nos corps.
Et certe, en contemplant l’immense cours des âges