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LIVRE TROISIÈME

Changer, c’est se dissoudre : il faut donc qu’elle meure.
Les transpositions d’ordre et de mouvements
Doivent la condamner à mort. Ses éléments,
Dans les membres épars, avec l’homme succombent.

« Les âmes, » disent-ils, « d’homme en homme retombent. »
Pourquoi donc tel esprit, sage avant le tombeau,
780Revit-il insensé sous un masque nouveau ?
D’où vient qu’au jeune enfant manque le sens du juste ?
Au poulain la raison de l’étalon robuste ?
Sinon de cette loi, de ces constants rapports,
Qui font du même pas marcher l’âme et le corps ?
« L’esprit peut bien, » dit-on pour première défense,
« Dans le corps de l’enfant revenir à l’enfance. »
C’est l’avouer mortel, puisqu’en changeant d’étui,
Il perd tant de sa vie ancienne, tant de lui.

Comment, sans un lien d’affinité jumelle,
L’âme et le corps, montant d’un progrès parallèle,
Atteindraient-ils ensemble à la fleur de leurs ans ?
Et pourquoi déserter les membres vieillissants ?
Craint-elle de rester prise en leur pourriture,
Et que l’abri dont l’âge ébranle la structure
Ne l’écrase en tombant du poids de ses débris ?
Mais pour une immortelle est-il de ces périls ?

Donc, à l’heure où l’amour accouple hommes et bêtes,
Lorsque Vénus conçoit, des âmes toutes prêtes,
Guettant l’endroit précis, lutteraient à l’entour
800À qui doit la première entrer et voir le jour,