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DE LA NATURE DES CHOSES

Puisqu’il en est ainsi, tombe avec moi d’accord
Que l’âme antérieure est bien morte, et que celle
Qui rentre en nous est bien d’éclosion nouvelle.

« Mais, au seuil de la vie et du monde animé,
L’âme neuve se joint au corps déjà formé. »
Pourquoi donc, dans le sang, avec le corps son hôte
Paraît-elle s’accroître et vivre côte à côte ?
Il lui fallait au moins, comme en cage un oiseau,
700Seule et pour soi grandir. Or, dans tout le réseau,
Partout le sentiment à la fois se présente.
Ainsi, rien ne l’isole, ainsi rien ne l’exempte
Des lois de la naissance et du coup de la mort.

Quel pouvoir souderait, et d’un lien si fort,
À sa prison d’un jour cette âme passagère ?
Non, celle-là chez nous n’est point une étrangère,
Qui s’amalgame aux nerfs, aux veines, aux vaisseaux :
Témoin le sentiment départi même aux os,
Même aux dents que saisit l’eau glacée, et qu’irrite
D’un gravier dans un fruit la rencontre subite !
Pourrait-elle, ainsi prise en mille nœuds étroits,
Saine et sauve échapper tout entière à la fois
À l’écheveau des os, des nerfs et des jointures ?
Puis, cette âme adventice, et que tu te figures
Coulant de veine en veine et filtrant du dehors,
N’en doit que mieux périr et fondre avec le corps.
Couler, c’est se dissoudre : il faut donc qu’elle meure.
De même qu’à travers la trame intérieure,
Les aliments, transmis de vaisseaux en vaisseaux,