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LIVRE TROISIÈME

Il semble que l’esprit, comme l’on dit, défaille
Et laisse l’âme aller ; tout frissonne et tressaille,
Cherchant à se reprendre au lien qui se rompt,
Tant l’âme dans la chair fut secouée à fond !
Un peu plus, et le choc la réduirait en poudre.

Et lorsque tu la vois hors du corps se dissoudre
Sans appui, sans contour, dans l’espace béant,
Sa diffuse vapeur braverait le néant,
Je ne dis pas mille ans, mais un millième d’heure ?
De la gorge au palais porte supérieure,
Le mourant la sent-il monter et, de la chair,
620Tout entière à la fois se détacher dans l’air ?
Chaque sens voit sa force en son organe éteinte ;
Chaque parcelle d’âme en son siège est atteinte.
Si l’âme s’envolait à l’immortalité,
Son départ à ce point serait-il redouté ?

Comme un daim laisse aller ses bois usés par l’âge,
Comme de sa peau vieille un serpent se dégage,
Joyeuse elle fuirait son étroit vêtement.

Enfin, si ce qu’on nomme esprit ou jugement
Des seules régions de la poitrine émane,
Plutôt que de la main, ou du pied, ou du crâne,
C’est qu’une loi, pour naître et pour se déployer,
Assigne à toute force un lieu fixe, un foyer :
Loi qui régit nos corps, où de tant de parties
Jamais les fonctions ne sont interverties.
Tel est l’enchaînement des choses. Nul ne voit