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DE LA NATURE DES CHOSES

Or l’immortalité n’admet, pleine et parfaite,
Ni compensations, ni perte, ni conquête.
Tout être a son orbite et périt s’il en sort ;
Ce qu’il était n’est plus ; dès qu’il change il est mort.

Donc, malade ou guérie, il faut qu’on s’y résigne,
De la mortalité l’âme porte le signe.
Ainsi la vérité heurte l’erreur de front,
Lui coupe la retraite, et deux fois la confond,
Et sans réplique enfin la convainc de mensonge.

Souvent l’homme s’éteint par degrés ; il allonge
La route et membre à membre il perd le sentiment.
Nous voyons la pâleur livide lentement
Monter de l’ongle au doigt et du pied à la cuisse ;
Puis la mort vers le tronc de proche en proche glisse :
Ses vestiges glacés partout vont s’imprimant.
540Et l’âme, sans rester entière un seul moment,
Se divise et décroît : c’est donc qu’elle est mortelle.

Crois-tu que, dans sa fuite, elle concentre en elle
La part de sentiment que chaque membre perd,
Et, ramassée à temps, se replie à couvert ?
Mais du fort où tant d’âme à la fois se condense,
La vie au moins devrait rayonner plus intense.
Ce fort, où le trouver ? L’âme décroît et fond ;
Ses débris sont jetés dehors : elle meurt donc.

Mais j’admets tes raisons, je les tiens pour réelles ;
Soit ; devant le progrès de ces morts partielles,