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LIVRE TROISIÈME

Comme atteint de la foudre, à nos pieds, sous nos yeux,
Tombe, écume, gémit, palpite ; le délire
Tend ses nerfs et les tord ; un râle affreux déchire
Sa gorge ; un spasme abat tout son corps secoué.
500C’est que le mal de membre en membre s’est rué
Sur l’âme : ainsi la mer écume, et l’eau fumante
Sous la rage des vents impérieux fermente.
C’est que la douleur chasse et rassemble en sanglots
Tous les germes bruyants de la voix, dont les flots
S’élancent de la bouche et coulent par la route
Familière et connue ouverte à leur déroute.
C’est que l’afflux rongeur de ce même poison,
Bouleversant l’esprit, disloquant la raison,
De leurs germes confus fait jaillir le délire.
Lorsqu’en ses réservoirs l’acre humeur se retire,
Quand la cause du mal se résorbe, sur pied
Le corps faible se dresse et l’âme se rassied,
Et des sens reconquis l’esprit reprend les rênes.
Comment croire que l’âme, en proie à tant de peines,
Attaquée en plein corps par de tels dissolvants,
Puisse, éparse dans l’air, braver le fouet des vents
Et vivre, sans l’appui d’où sa force procède ?

Au reste, ses douleurs ne sont pas sans remède ;
Il suffit qu’on la soigne, et l’art peut la guérir.
520D’où je conclus encor qu’elle vit pour mourir.
Qu’il s’agisse de l’âme ou de toute autre essence,
Pour en changer l’état, il faut à sa substance
Adjoindre ou retrancher quelque partie, ou bien
Il faut intervertir tout au moins l’ordre ancien.