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DE LA NATURE DES CHOSES

Valent les maux hideux qui dévastent le corps.
De communes douleurs partageant le principe,
Il faut bien qu’à la mort l’âme aussi participe.
Bien plus ; l’esprit souvent pâtit des maux du corps.
Il s’égare, il s’échappe en bizarres transports ;
Parfois la léthargie, alourdissant ses ailes,
Le plonge en des torpeurs profondes, éternelles ;
Le front ploie, et les yeux flottent irrésolus ;
Il n’entend plus les voix, il ne reconnaît plus
Les traits des êtres chers qui, debout en alarmes,
L’entourent, le visage inondé par les larmes,
Le rappelant enfin à la vie. Ainsi tout
480Nous force d’avouer que l’esprit se dissout :
Car la contagion du mal envahit l’âme ;
Et, la mort elle même est là qui le proclame,
La mort a deux agents : maladie et douleur.

Sous l’empire du vin, quand la brusque chaleur
Répandue au travers de nos veines ruisselle,
Pourquoi cette lourdeur du corps ? Le pied chancelle,
La langue s’engourdit ; les yeux et les esprits
Noyés flottent ; l’injure et la rixe et les cris
Avec l’impur hoquet font cortège à l’ivresse.
Pourquoi ? C’est que l’assaut de la liqueur traîtresse
Attaque, altère l’âme au fond même du corps.
Or ce qui souffre ainsi de passagers transports
Comment soutiendra-t-il une épreuve plus dure ?
Il en perdra la vie et présente et future.

Souvent, frappé d’un mal subit, un malheureux,