C’est le feu qui domine en ces esprits entiers,
Âpres, où le courroux s’enflamme volontiers ;
C’est lui que les lions soufflent par les narines,
Qui fait en rauquements éclater leurs poitrines
Et déborder sans frein le flot de leur fureur.
Les cerfs tremblent au vent qui refroidit leur cœur ;
Le vent règne en leur âme et frissonne en leur veine.
L’air calme assure aux bœufs leur majesté sereine
Que trouble rarement de sa noire vapeur
La torche du courroux aveugle, et que la peur
Ne paralyse point de ses flèches de glace ;
Entre les deux excès la nature les place.
Et, dans ces animaux, c’est nous que je décris.
La sagesse a bien pu mûrir quelques esprits,
Mais sans en extirper la tendance rectrice.
Elle n’en peut si bien déraciner le vice
Que l’un plus volontiers ne cède à la terreur,
L’autre aux emportements de l’aveugle fureur,
L’autre au mol abandon d’une âme trop peu fière.
Enfin de cent façons les jeux de la matière
Avec le naturel font varier les mœurs.
Comment trouver assez de noms pour tant d’humeurs,
Qui pourrait éclaircir tant de causes obscures
Et de tant d’éléments distinguer les figures ?
Constatons seulement que, si faibles soient-ils,
Rien n’en peut effacer les vestiges subtils.
La raison les attaque et ne peut les détruire.
Quel obstacle, sans eux, pourrait nous interdire
L’accès du calme pur dont jouissent les dieux ?
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DE LA NATURE DES CHOSES