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DE LA NATURE DES CHOSES

De tons sombres ou noirs qui terniraient sa fleur,
Le blanc naîtrait plutôt de germes sans couleur.

Mais la couleur enfin n’est pas, sans la lumière,
Qualité qui n’a rien d’une essence première.
C’est pourquoi nulle teinte en l’atome ne luit.
Que serait la couleur dans l’ombre de la nuit,
Elle qui change avec la lumière inégale
Et reflète sa chute oblique ou verticale ?
Ainsi, sous le soleil, le chatoyant duvet
Qui forme le collier des colombes, revêt
Les flammes du rubis et de la pourpre chaude,
Tourne au corail plus doux et passe à l’émeraude.
Ainsi, lorsque le jour ruisselle à flots des cieux,
820Le paon fait miroiter son manteau radieux.
Puis donc que la clarté par son choc les révèle,
Je dis que les couleurs n’existent pas sans elle.
Comment les sentons-nous ? par une impression,
Un choc, de contours blancs ou noirs. La vision
N’est que le tact de l’œil ; au fond c’est d’une forme
Et non d’une couleur que le tact nous informe ;
Pour lui la forme est tout, la teinte est sans valeur :
Les éléments n’ont donc nul besoin de couleur ;
Leur effet sur nos sens change avec leur figure.

Suffit-il d’établir que nul pacte n’assure
À telle ou telle forme un genre de pigment,
Et qu’à toute couleur convient tout élément ?
D’où viendrait que tout corps dans la nature entière
N’aurait pas l’avantage acquis à sa matière