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LIVRE DEUXIÈME

Et font un mur d’ivoire à leur pays natal,
Rempart impénétrable au monde occidental.
Tant la loi qui remplit les cadres de la vie
Peut prodiguer ailleurs ce qu’elle nous envie.
Mais va plus loin ; suppose, on t’accorde ce point,
Un être unique, seul de son sang, qui n’ait point
De pair ni de second dans le reste du monde :
Je dis que sa matière autant qu’une autre abonde ;
Qu’il ne peut, sans un nombre infini d’éléments,
560Naître, vivre, grandir, ni trouver d’aliments.
Vois-tu flotter au loin, seuls dans l’espace énorme,
Les germes destinés à cette unique forme ?
Quel hasard groupera leurs globules subtils ?
Où, d’où, par où, comment se reconnaîtront-ils,
Étrangers dans la foule en cette mer profonde ?

Ainsi, quand la tempête, en naufrages féconde,
Déchire gouvernails, mâts, antennes, haubans,
La forte mer, qui tord les poupes et les bancs,
De débris surnageants sème au loin ses rivages,
Afin que les mortels, témoins de ses ravages,
Sachent sa perfidie et sa déloyauté,
Et que nul désormais ne puisse être tenté
Par le sourire faux de sa paix meurtrière ;
Dans ses convulsions ainsi l’ample matière
Doit disperser au loin sur l’infini des temps,
Si leur nombre est borné, les atomes flottants,
Sans union possible ou durable, sans force
Contre la décroissance et l’éternel divorce.