Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
LIVRE DEUXIÈME

Encor bien qu’elle tombe autant qu’il est en elle,
Change en ascension sa chute naturelle.
Ne vois-tu pas s’épandre en long sillons de feux
Les sublimes flambeaux qui volent dans les cieux,
Dès que la nuit leur ouvre une maille en ses voiles ?
Ne vois-tu pas tomber en terre les étoiles ?
Et le soleil aussi, des hautes régions,
220Verse au loin ses chaleurs et sème ses rayons.
Donc les feux du soleil descendent vers la terre.
Du nuage en lambeaux s’échappe le tonnerre ;
Les foudres en tout sens se croisent, et leurs coups
S’abattent, trop souvent, sur la terre et sur nous.

Retiens ce point encor : par le poids qui le guide
Tout corps en droite ligne est porté dans le vide ;
Mais, sans qu’on puisse dire en quel temps, en quel lieu,
Chaque atome en tombant décline un peu, si peu
Que sa pente invisible est à peine réelle.
S’ils ne déclinaient point, si, d’un jet parallèle,
Comme les gouttes d’eau tombaient les éléments,
D’où seraient nés les chocs et les enchaînements ?
Est-ce que la Nature eût pu créer les choses ?

Dans l’absolu du vide il faut que tu supposes
Certains corps que leur poids, accélérant leur cours,
Directement d’en haut jette sur les moins lourds,
Et dont le choc fécond puisse engendrer le monde.
Rien n’est plus loin du vrai. Si dans l’air, si dans l’onde,
Tout corps précipité selon son poids descend,
240C’est que l’eau, trop mobile, et que l’air, trop glissant