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ves de notre volonté, accourent à son premier appel ; et si, dès que les ondes, la terre, le ciel enfin, ou les assemblées, les pompes, les festins, les batailles, nous font envie, la Nature nous apprête, nous fournit au moindre mot toutes ces images. Et encore faut-il songer que dans la même région, dans le même lieu, les autres imaginations évoquent mille pensées contraires !

(4, 790) Quoi ! les spectres, enfants de nos rêves, qui joignent à un pas harmonieux la souplesse des membres, la souplesse des bras tour à tour agités, et qui vont sous nos yeux répétant ces gestes que leur pied accompagne, savent-ils donc bondir avec art ? Errent-ils alors, pour que la nuit favorise ces doctes ébattements ? Ou bien en est-il des images comme des paroles, et nos sens embrassent-ils à la fois une série dont les intervalles nous échappent, quoique la raison admette leur existence ? Sans doute. (4, 799) Voilà pourquoi nos yeux rencontrent toujours et partout des images toutes prêtes ; voilà pourquoi, tour à tour évanouies et remplacées par de nouvelles formes aux nouvelles attitudes, elles semblent avoir changé de gestes.

Mais leur essence fine, pour être nettement aperçue, veut des intelligences attentives.

Aussi toutes les images se perdent, hormis celles que nous évoquons nous-mêmes. Or, nous sommes toujours prêts et enclins à voir les choses qui ont rapport à nos idées : elles nous apparaissent donc.

(4, 809) Ne vois-tu pas que nos yeux même, quand ils envisagent un corps délié, se préparent et se fixent ? Autrement, la vue ne saurait être perçante. Et encore remarques-tu que, faute de tourner leur attention sur mille choses apparentes, nos intelligences les voient dans un éternel et profond éloignement. Émerveille-toi donc ensuite, si toutes les images nous échappent, hormis celles dont la pensée nous absorbe ! Souvent alors nous agrandissons démesurément les formes, et nous courons de nous-mêmes au piège des illusions.

Souvent aussi les images qui se renouvellent ont changé (4, 820) de sexe : nous avions une femme dans les bras, et tout à coup nous y apercevons un homme ! Leur figure, leur âge subit encore mille vicissitudes, que le sommeil et le défaut de mémoire travaillent à rendre moins étranges.

Il est ici un système vicieux et faux, que tu dois éviter avec horreur et fuir avec effroi. Oui, garde-toi de croire que le flambeau des yeux étincelle tout exprès pour la vue ; que le pied sert de fondement à la colonne flexible des jambes, afin que nos pas allongés dévorent la route ; (4, 830) que les bras, vigoureux assemblage de muscles, et les mains, ces deux ministres du corps, furent destinés à satisfaire tous les besoins de la vie.

Toutes ces fausses interprétations de la Nature bouleversent la raison. Le corps ne renferme point un seul organe qui naisse pour nous ser-