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cune forme. Si elle ne rencontre que des matières brillantes, compactes, et en tête le miroir, il ne se passe rien de semblable : car elle ne peut les franchir comme des étoffes ; et, avant de la rompre, le corps uni a soin de la dérober à sa perte. De là ce rejaillissement des images qui nous frappent. Si rapide, si imprévu que soit le choc du miroir que tu poses devant un être quelconque, tu vois apparaître la forme : reconnais donc le flux perpétuel des surfaces qui envoient de minces tissus [158], de frêles images. (4, 160) Aussi ces formes naissent-elles en foule dans un court espace, et il est juste de leur accorder une prompte origine. Il faut que la moindre durée fasse tomber du soleil un torrent de lumière, pour emplir incessamment la nature : la même raison exige que chaque moment emporte des corps mille simulacres éparpillés de mille façons, de mille côtés divers ; car, en quelque sens que nous tournions le miroir, les objets se reproduisent avec leur couleur et leur forme.

(4, 169) Souvent la pureté limpide du ciel est troublée si vite par un désordre si vaste, si épouvantable, que toutes les ténèbres semblent abandonner le Styx, et remplir les profondes cavernes des airs : tant les nuages amassent une nuit lugubre, tant les sombres fantômes de la peur apparaissent et planent sur nos têtes ! Mais leurs images, que sont-elles, relativement à eux-mêmes ? Qui peut le calculer ou le dire ?

Maintenant le vol rapide qui emporte les images, et leur agilité à fendre la vague des airs, à dévorer un long espace dans un court intervalle, (4, 180) de quelque côté que leur essor divers les pousse, nous inspirent quelques vers dont le charme surpasse le nombre, comme un souffle harmonieux du cygne l’emporte sur le vaste cri dont les grues parsèment le vent à la cime des nuages.

D’abord, on peut remarquer souvent que les essences légères, et qui ont pour base de fins atomes, sont agiles. Vois, par exemple, la lumière du soleil et sa vapeur chaude. Leur vitesse tient aux imperceptibles germes dont elles sont faites. Ils se chassent eux-mêmes, ils n’hésitent point à franchir les vides de l’air : un choc les poursuit, les excite ; (4, 190) car le rayon succède vivement au rayon, les éclairs aiguillonnent et perpétuent la fuite des éclairs. Par la même raison, il faut que les images puissent traverser en un moment des espaces incommensurables ; tout le démontre : leur petitesse, ce mobile qui assiège, qui bat, qui pousse leurs derrières ; et enfin le tissu si maigre de ces émanations si libres de pénétrer tous les assemblages, et comme de filtrer entre les pores du vent.

(4, 199) Quoi ! des atomes enfouis que rejettent les entrailles des êtres, comme la lumière du soleil et sa vapeur chaude, n’absorbent qu’un point de la durée, quand on voit leurs flots se répan-