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leur enveloppe, du corps, et la perte du souffle vital, il faut avouer que le sentiment se dissipe chez les esprits comme chez les âmes, puisque leur existence tient aux mêmes causes.

Enfin, si nos corps, incapables de supporter leur (3, 580) fuite, tombent en lambeaux fétides, comment douter que ces essences vives, chassées du fond de leur asile, ne jaillissent éparses, comme la fumée ? Ce bouleversement des êtres qui croulent, et ne sont plus que ruine, que poussière, ne vient-il pas de ce que leurs fondements se dérobent avec les âmes écoulées par les membres, et les issues tortueuses, et les pores qui sillonnent la chair ? Ainsi tout indique que ces matières sont en pièces quand elles sortent du corps, et que mille déchirements intérieurs précèdent le jour (3, 590) où elles se répandent et nagent sur la vague des airs.

Bien plus, elles habitent encore le sanctuaire de la vie, que déjà mille secousses ont paru les abattre, les rompre dans tous nos organes : elles donnent au visage cette langueur du moment suprême, et les membres flottent, prêts à tomber du corps que le sang abandonne. Voilà, par exemple, ce que nous appelons se trouver mal, ou perdre ses esprits, alors que tous sont en émoi, et cherchent à ressaisir le dernier fil de l’existence. Car il y a un ébranlement qui énerve nos esprits, nos âmes, (3, 600) et ils partagent la défaillance du corps : ils succomberaient donc à des attaques un peu plus vives.

Eh bien ! crois-tu que rejetés du corps, et sans force quand ils volent sans obstacle ni rempart, ils puissent avoir, non plus toute la durée des âges, mais un instant, un seul instant de vie ?

Jamais on ne voit de mourants qui sentent leur âme fuir tout entière de toutes parts, ou remonter d’abord vers les embouchures de la gorge. Non, ils savent que la défaillance lui vient aux endroits marqués pour la demeure, (3, 610) comme les autres organes sont anéantis dans leur siège. Si la mort épargnait nos intelligences, gémiraient-elles, à son approche, de tomber en ruines ? Elles aimeraient plutôt à sortir, à quitter leur enveloppe, comme le serpent, ou le cerf que les ans déchargent de son bois immense.

Enfin la pensée, le jugement, essence des âmes, ne viennent jamais à la tête, ni dans le pied ou la main. Ils occupent chez tous un même point, ils sont à demeure fixe. Pourquoi, sinon parce que tous les organes ont un lieu affecté à leur naissance ? Là, ils sont capables de quelque durée ; (3, 620) là, ces mille puissances dominent, absorbent les membres, et empêchent que leur ordre soit jamais interverti : tant la succession des êtres est invariable ! La flamme peut-elle jaillir des ondes, ou la glace naître du feu ?

En outre, si les âmes sont des natures impérissables, si elles ont la force de sentir, isolées du corps, il faut, je pense, les enrichir de cinq organes. Autrement, on ne peut se figurer les âmes du Tartare qui errent au bord de l’Aché-