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nombreux que vous ? Mais ces esquifs, ces bataillons fussent-ils plus nombreux encore, la foi promise n’est-elle rien ? Ne suis-je digne d’aucun sacrifice ? N’ai-je pas mérité que vous et vos compagnons vous mourussiez pour moi ? Que n’ont-ils sans vous touché nos rivages ! Que n’avaient-ils un autre chef ! Ils s’en retournent maintenant, et n’ont pas honte de me livrer, disant que c’est leur seul espoir de salut. Vous, Jason, consultez-moi du moins et ne cédez pas à la frayeur exagérée de vos compagnons. Auraient-ils cru naguère que vous fussiez capable de dompter les taureaux, d’arriver jusqu’au sacré dépôt confié au dragon ? Plût aux Dieux que tout n’eût pas été possible à mon amour et qu’il ait douté de soi-même un moment ! Oui, cherchez si vous n’avez pas encore quelque ordre à me donner ! Hélas ! tu te tais, barbare, mais ta honte qui se peint sur ta figure me présage je ne sais quelle trahison nouvelle. Amant jadis si cher, quoi ! je devais te prier à mon tour, te supplier ? Mon père est loin de le croire, sans doute, loin de penser que je paye déjà la peine de mon crime et que je subis un maître. » Elle dit, et, sans attendre la réponse de Jason, elle fuit comme une insensée, en jetant des cris horribles. Telle possédée de son dieu et animée par le tambourin qu’elle frappe de son thyrse d’Aonie, la Ménade s’élance au haut des montagnes de Thèbes ; telle Médée, que tout épouvante, court de colline en colline, fuyant les javelots des fils de la Terre et les taureaux au souffle enflammé, mais satisfaite de mourir, si elle peut apercevoir la Thessalie, les sommets du Pélion, et les fameuses cascades de la verte Tempé. Elle passe le jour entier à gémir, à se plaindre ; la Nuit elle-même est troublée de ses cris. On croirait entendre dans le silence des ténèbres, hurler tristement les loups, claquer les mâchoires des lions affamés, ou mugir lentement les génisses privées de leurs nourrissons. Elle revient enfin ; mais son visage n’a plus la noblesse des héros de son sang, la majesté du Soleil, son aïeul, ce charme d’une beauté étrangère qu’il avait jadis, quand triomphante elle apporta aux Argonautes la toison d’or, et quand parmi les plus grands noms de la Grèce, elle s’assit, autre Pallas, à la proue du vaisseau de Pallas.

Cependant alarmé des menaces et de la colère de Médée, Jason hésite. Partagé entre la cruelle résolution qu’il a prise avec ses compagnons, et la honte d’en faire l’aveu, il cherche pourtant, malgré la douleur qui l’oppresse, à adoucir celle de son amante et à gagner du temps. « Pensez-vous, lui dit-il, que j’aie jamais craint . . . .