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le vaisseau des Argonautes occupait l’un depuis longtemps ; le fils d’Éétès s’empare de l’autre, d’où il harcèle avec sa flotte le camp des Thessaliens, sans pouvoir, dans sa rage impatiente, engager le combat. Jour et nuit la tempête soulève les flots qui les séparent, jusqu’à ce que Junon ait trouvé un moyen de terminer au gré de ses désirs cette lutte qui l’inquiète. Eux-mêmes prévoyant les suites d’une attaque si obstinée, les Argonautes importunent Jason de leurs prières et de leurs murmures : ils se plaignent de ce que, pour la fille d’un barbare, il les expose à toute la rigueur d’un siège et à des périls toujours renaissants ; qu’il ne considère pas assez le nombre de ses compagnons, la grandeur de leurs destinées. Ce n’est pas un amour criminel et clandestin qui les a entrainés à sa suite à travers les mers, mais leur seule valeur ! Quoi ! s’amuser à célébrer son hymen avec la femme qu’il a enlevée ? En effet, le temps est bien choisi. Les Grecs ont assez de la Toison, et l’on peut, en rendant Médée, étouffer la guerre. Qu’il laisse donc les deux partis retourner dans leurs foyers, et que Médée ne soit pas la première furie qui arme l’une contre l’autre l’Europe et l’Asie : car aussi bien, (les Destins l’ont prédit et Mopsus l’annonçait jadis avec effroi) cette guerre est réservée à leurs descendants, et c’est un autre ravisseur qui doit un jour allumer ce terrible incendie.

Jason ne sachant que répondre à ces plaintes réitérées pousse de profonds soupirs. Le respect des Dieux, la sainteté de sa promesse, les premières douceurs de l’hyménée peuvent à peine le retenir. Il balance ; il voudrait mourir, en songeant à celle que menace comme lui ce nouveau péril ; il faut enfin qu’il cède à ses compagnons. Une fois sa résolution prise, les Argonautes attendent que l’orage et que les flots s’apaisent ; jusque-là on ne dit rien à Médée ; on lui cache le funeste décret.

Mais l’amour, s’il est souvent le jouet de craintes chimériques, en éprouve souvent de trop réelles. Il ne veut pas que la jeune fille soit trompée. Aussi voit-elle bientôt la trahison sous le masque dont il se couvre, elle reconnaît l’infidélité de son époux, et comprend le silence de tout ce qui l’entoure. Toujours présente à elle-même et sans s’effrayer du péril qui la menace, elle aborde Jason, le tire à l’écart et lui parle ainsi : « Comme vous aussi, cher époux, je suis jour et nuit vivement préoccupée des Argonautes, de vos braves compagnons. Cependant, ne puis-je savoir si je suis leur captive, si l’on m’a trompée et si j’obéis à plusieurs maîtres ? Ne puis-je enfin connaître votre pensée ? Certes, ô mon très-fidèle époux, je suis au-dessus de toute crainte ; pourtant, ayez pitié de moi ; gardez au moins jusqu’en Thessalie la foi que vous m’avez jurée ; c’est dans votre palais seul que vous me mépriserez. J’ai reçu, vous le savez, votre foi et non celle de vos compagnons ; s’ils croient qu’il leur est permis de me rendre aux miens, vous n’avez pas le même droit ; vous seriez contraint de me suivre, car je ne suis pas la seule coupable, la seule qu’on redemande ; nous avons commis la même faute ; nous avons fui ensemble. Mon frère vous épouvante ; vous tremblez de vous voir enfermer par sa flotte et par un ennemi plus