Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/608

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un flot le roule encore, le chasse, et se brise ensuite. Comme lui, ses compagnons sont le jouet des vagues, soit qu’elles s’élancent vers le ciel, soit qu’elles retombent sur elles-mêmes. Ici un gouffre les engloutit, là un tourbillon les entraîne ; la terreur est peinte sur tous les visages : les coups redoublés du tonnerre ébranlent la voûte céleste. Toutefois la violence de Stirus ne s’est point ralentie : tandis qu’il lutte contre les dieux eux-mêmes, il exhorte ses compagnons : « Quoi ! s’écrie-t-il, l’infidèle Colchidienne au mépris de mes droits, se choisirait un autre époux ! Un ravisseur thessalien me serait préféré I J’aurais en vain, seul de tant de rois mes rivaux, fixé le choix de son père ! Est-ce le courage qu’elle aime dans son séducteur, et celui qu’elle suit est-il plus brave que moi ? Mais, sans le secours de ta magie, je dompterai les taureaux ; avec mon épée, seule, j’affronterai les monstres issus des dents du dragon thébain. En attendant, contemple du rivage un combat dont tu seras le prix, un combat digne de toi. Tu vas la voir ensanglanter les flots, cette tête si chère ! Tu vas le voir tomber ce Grec efféminé, dont la chevelure au lieu de myrrhe n’exhalera bientôt plus que l’odeur de la poix et du soufre enflammés. Flots, jetez seulement Stirus sur ce rivage, et ni vous, Éétès, ni le Soleil votre père, n’aurez à rougir de votre gendre. Me trompé-je ? N’est-ce pas elle encore qui excite ces vents et les mers par ses paroles infernales, et dont l’art magique protège Jason contre nous ? En effet, il a coutume d’y recourir. Mais tous ces enchantements, tout ce vain fracas ne sauraient le sauver. Allez, vaisseaux, brisez ces flots soulevés par une jeune fille. »

Il dit, et les rameurs redoublent d’efforts. Il s’élance en avant avec sa troupe. Mais la lame revient encore, heurte le radeau, le met en pièces, et disperse ceux qui le montent. Lui, toujours menaçant, nage la main tendue vers le bord, et, au milieu du naufrage, lutte contre les flots sans quitter son épée. Il cherche à saisir quelques débris de son vaisseau ; il appelle ses compagnons à son aide. Mais personne, dans le trouble général, ne peut ni ne veut l’entendre. Chaque fois qu’il se rapproche de la rive, la lame le repousse ; il résiste encore, et disparaît. D’un effort violent il remonte à la surface ; mais la mer revient acharnée, l’engloutit sous une montagne d’eau, et le force à laisser la jeune fille.

À cet affreux spectacle, Absyrte consterné ne sait ni que faire, ni comment s’emparer du port et de l’embouchure du fleuve, ni comment attaquer les Argonautes qui s’y tiennent à l’abri : il les voit, il les reconnaît en frémissant de rage. La mer toujours en fureur, la tempête incessante, les vagues suspendues sur sa tête, paralysent tous ses efforts. Il se retire enfin, convaincu de l’impuissance de sa colère, et gagne avec les débris de sa flotte le rivage opposé de l’île de Peucé. Là, le Danube, se partageant en deux bras, forme autour de l’île une double barrière ;