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revenir chez mon père ? Le sang de cinquante pirates, un seul vaisseau submergé, m’apaiseront-ils assez ? C’est toi, Grèce trompeuse, que je poursuis ; c’est pour tes cités que j’attise le feu de ce flambeau. Non, ma sœur, ton frère ne manquera pas à ton digne hymen. C’est moi qui le premier secoue sur toi, sur ton époux, cette torche nuptiale. Si, le premier, je viens présider à tes noces, excuse en cela, je te prie, la vieillesse de notre père. Mais le sénat et le peuple sont avec moi. La royale petite-fille du Soleil, pour s’unir dignement au héros de la Thessalie, n’a pas trop de la réunion de tant de navires, de l’éclat de tant de flambeaux. »

Il dit, et, parcourant les vaisseaux, il invoque tantôt les Vents, tantôt ses compagnons. Le pilote transmet ses prières aux rameurs, qui battent les flots avec leurs avirons encore tout garnis de feuilles. Cette flotte, formée en un jour d’arbres abattus au sommet des montagnes (que ne pouvaient la colère et la haine chez les hommes de cet âge ?), approche de plus en plus, et des radeaux grossiers suivent le léger esquif de Pallas. Déjà les Colchidiens découvrent les embouchures du Danube, l’île verdoyante de Peucé et aperçoivent le haut du mât des Argonautes. Ils poussent des cris de joie et de haine, dont le bruit qui redouble se mêle au bruit des rames à mesure qu’Argo se rapproche ; tous en même temps veulent fondre sur lui. Stirus, enflammé d’amour et de jalousie, saisit un croc ajusté à une hampe de chêne noueux, et interroge au loin les flots ; les autres s’arment de leurs boucliers et d’énormes javelots, enduisent des torches de poix et brandissent impatiemment leurs lances. Bientôt ils sont à portée de trait ; ils redoublent leurs cris ; ils trépignent de fureur sur leurs frêles embarcations.

À l’aspect inattendu de cette flotte et de ces feux que la mer réfléchit, les Argonautes se lèvent, agités de mille pressentiments : Jason quitte son épouse, saute le premier dans le vaisseau, prend son casque qui reposait sur sa lance, son bouclier et sa brillante épée. Non moins alertes que lui, ses compagnons s’arment, et se rangent sur le rivage. Comment alors, ô Médee, ton crime t’apparut-il ?Quelle honte fut la tienne en revoyant ton frère, tes compatriotes, dont tu te croyais séparée par l’immensité des mers ? Aussi se cache-t-elle tristement au fond de la grotte, n’attendant désormais que la mort, soit que Jason succombe, soit que son frère périsse de la main des Grecs.

Mais Junon dans les demeures de l’Olympe ne se résigne pas ainsi ; elle ne veut pas d’un combat avec un ennemi si supérieur aux Argonautes en guerriers et en vaisseaux. À peine voit-elle s’approcher et la flotte et la guerre, qu’elle descend sur la terre, et ouvre leur prison aux Vents et aux Tempêtes. La troupe turbulente s’en échappe aussitôt ; Junon leur montre la flotte. Tous l’ont vue soudain. Ils s’élancent à la fois vers le but indiqué, poussent d’horribles sifflements, bouleversent la mer jusqu’en ses abîmes, et font de chaque flot un ennemi des Colchidiens.

Stirus, emporté dans les eaux de l’Argo, avance avec la vague et retombe avec elle dans l’abîme ;