les parties du monde, et t’ordonne de descendre ici tout entier sur ce dragon. Par toi j’ai plus d’une fois dompté les flots, les nuages, la foudre, et tout ce qui a vie et mouvement dans les airs : mais aujourd’hui, viens plus puissant que jamais ; viens, semblable au Trépas ton frère. Et toi, fidèle gardien de la dépouille du bélier de Phrixus, voici le moment de reposer tes yeux du soin qui les fatigue. Que crains-tu quand je suis avec toi ? Je te suppléerai moi-même quelques heures dans la garde de la forêt ; jusque-là prends du repos. »
Le monstre, malgré sa fatigue, n’ose encore se relâcher de sa surveillance, ni goûter un repos auquel on l’invite, après lequel il soupire. Appesanti par les premières vapeurs du sommeil, il frissonne, et repousse loin de l’arbre sacré cet ennemi plein de charmes. Médée alors fait agir tous les poisons du Tartare ; elle secoue incessamment un rameau trempé dans le silencieux Léthé, appesantit par un chant magique les paupières rebelles du dragon, lasse, épuise, à force de gestes et de paroles, toute la puissance du Styx, jusqu’à ce que l’intraitable monstre soit assoupi. Et déjà sa crête altière s’est abaissée ; sa tête obéissante s’incline ; son cou se détend et s’allonge. Ainsi s’abaissent les flots gonflés du Pô, du Nil aux sept embouchures, et ceux de l’Alphée à travers les champs de l’Hespérie.
Dès qu’elle voit le dragon qu’elle aime étendu sur le sol, Médée le presse dans ses bras, s’accuse de cruauté, pleure celui qu’elle a nourri de ses mains, et leur commune destinée.
« Ce n’est pas ainsi, dit-elle, que je te voyais, quand, la nuit, je t’apportais les offrandes sacrées ; et moi-mème j ’étais bien différente, quand, d’un soin si affectueux, je te donnais le miel et ces poisons avec lesquels tu apaisais ta faim. Quelle masse inerte et pesante ! Qu’il est faible le souffle qui t’anime encore ! Infortuné, peut-être eût-il mieux valu que je t’ôtasse la vie ! Qu’il sera douloureux pour toi le jour où tu ne verras plus la toison, et l’arbre où tu veilles dépouillé de son brillant dépôt ! Cède au Destin ; va maintenant cacher ta vieillesse dans quelque autre forêt sacrée ; oublie-moi, je t’en conjure, et que tes sifflements ne me poursuivent pas sur les mers que je vais parcourir. Mais vous, fils d'Éson, hâtez-vous, enlevez votre proie, et fuyez. Fille impie, j’ai éteint les flammes des taureaux de mon père, j’ai poussé les enfants de la Terre à s’entre-détruire ; voici le dragon étendu à vos pieds : je n’ai plus, je pense, d’autres crimes à commettre. »
Pendant que Jason cherchait le moyen d’atteindre à la cime de l’arbre : « Allons, lui dit-elle, escaladez le monstre et marchez sur son dos. » Jason, plein de confiance, monte sur le dragon, et arrive de replis en replis à la branche sur laquelle reposait la brillante toison, pareille à un nuage enflammé, ou à la légère Iris, quand elle est frappée des rayons du soleil. Il saisit le trophée, dernier objet de ses vœux et la fin de toutes ses fatigues. L’arbre rend à regret le monument de la fuite de Phrixus, qu’il gardait depuis si long-