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enflammées. Pareils à deux foudres étincelants que Jupiter en fureur lance sur les humains du haut des nues, ou bien à deux Vents qui ont brisé leurs entraves, et qui s’échappent avec rage, les deux taureaux se précipitent hors de leur antre, secouent leurs têtes, et vomissent des tourbillons de feux, semant çà et là l’incendie.

Les Argonautes ont frémi ; Idas a frémi lui-même ; l’audacieux Idas, qui déplorait tout à l’heure que Jason dût son salut aux enchantements d’une jeune fille, et qui la regardait d’un œil jaloux. Jason, sans plus attendre, marche à la rencontre des taureaux, et, les voyant avancer séparément, il les provoque, en agitant son casque et en écartant de ses mains le feu qu’ils vomissent. Celui qui le premier a vu l’éclat des armes s’arrête un moment et entre en fureur. Avec moins de rage la mer se précipite contre les rochers, et revient brisée sur elle-même. Deux fois le héros est couvert tout entier de l’haleine embrasée du monstre, deux fois Médée éteint l’incendie ; la flamme s’amortit et se glace au contact du bouclier ; elle pâlit à l’aspect du charme qui l’environne.

Jason saisit les cornes du taureau et s’y suspend de toutes ses forces. L’animal, rebelle d’abord à la puissance de Médée et aux efforts de Jason, secoue l’ennemi qui se cramponne fortement à sa tête, et le soulève un moment : inutiles efforts ! il plie ; ses mugissements sont plus sourds ; sa tête fléchit et tombe. Jason se tourne alors vers ses compagnons, et demande les liens les plus forts. Il assujettit la tête du taureau ; et tantôt l’entraînant, tantôt entraîné par lui, il le presse du genou, le domine, et le force enfin de se courber sous le joug. L’autre, à moitié dompté par la vigilante Médée, plus lent dans ses mouvements, plus timide dans ses menaces, approche, les yeux comme obscurcis par un nuage ; sa colère le paralyse, son propre poids l’écrase ; il tombe, la tête et les épaules en avant. Jason l’attaque, se renverse sur lui de toute sa hauteur, et lui tient les naseaux fixés contre terre. Les deux monstres accouplés et vigoureusement attelés, Jason les relève d’un coup de genou et les aiguillonne de sa lance. Ainsi jadis on vit, au sommet de l’Ossa, le Lapithe dompter le premier cheval sorti de terre, et comprimer avec le mors ses premiers hennissements. Jason, comme s’il labourait les campagnes de la Libye ou de la fertile Égypte, répand gaiement à pleines mains la semence d’où doit sortir la guerre.

Trois fois alors du soc même de la charrue et du fond des sillons retentit un bruit de trompettes. Les glèbes s’agitent, prêtes à enfanter des phalanges armées et à en couvrir la plaine. Jason fait quelques pas en arrière et se rapproche de ses compagnons, attendant l’occasion de combattre. Dès qu’il voit la terre livrer passage aux aigrettes, les casques lancer des éclairs, il accourt. D’abord il coupe sans efforts et à ras de terre une tête sortie jusqu’aux épaules, puis par le milieu un tronc avec la cuirasse, puis encore des bras qui jaillissaient les premiers hors du sein mater-