Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/590

Cette page n’a pas encore été corrigée

premier mes brigandages le long des côtes de la Thessalie ; attaché au front d’Hellé les fatales bandelettes ? Si pourtant tu ne veux pas sortir de ce pays sans la toison ; si tu as honte de t’en retourner les mains vides, et que ton vaisseau recèle je ne sais quoi de supérieur à la puissance humaine, je ne différerai pas davantage ma promesse, pourvu qu’auparavant tu obéisses à mes ordres. Il est près de la ville un champ consacré à Mars, inculte depuis bien des années, et où paissent deux taureaux furieux, qui reconnaissent à peine le joug auquel je veux les soumettre. Ma vieillesse les a rendus plus féroces et plus indomptables ; un feu plus dévorant jaillit de leurs bouches. Sois donc, ô étranger, mon digne successeur, et défriche ces landes arides. Ni les semences que j’employais moi-même ne te manqueront, ni la moisson que seul j’avais jusque-là recueillie. Une nuit te suffira pour te résoudre, après en avoir délibéré avec tes demi-dieux : et si tu as quelque confiance en tes forces, tu te rendras sans différer sur ce champ où t’appellent les Destins. Pour moi, je ne sais encore si je désire que tu sois tout à coup étouffé par les flammes et par la fumée, ou que, résistant à cette première épreuve, tu voies, à mesure que tu ensemenceras la terre, les dents du dragon de Cadmus enfanter des guerriers, et la campagne se couvrir de bataillons tout armés. »

Étonnée de l’ordre barbare donné par son père, Médée hésite, regarde en pâlissant Jason, et tremble que, dans l’ignorance du péril, le héros ne se flatte de le surmonter. Cependant l’effroi glaçait Jason. En proie à une sombre colère, il reste immobile ; pareil au pilote des mers de Tyrrhène et d'Ionie, qui, voguant à pleines voiles vers le port du Tibre, ou vers Pharos à l’éclatant fanal, perd de vue tout à coup et l’Égypte et l’Ausonie, et chasse sur les sirtes dangereux de l’Afrique. Enfin, après avoir longtemps médité sa réponse, il attache son regard sur le tyran, et lui dit :

« Éétès, ce n’est pas là le retour, ce ne sont pas là les espérances dont tu nous flattas, quand nous prîmes les armes pour défendre tes murs. Que signifient ce changement, ces ordres, qui cachent sans doute quelque piège ? Vois-je ici un autre Pélias, d’autres dangers à courir ? Eh bien, tyrans, unissez contre moi vos haines et vos ordres cruels ; ni le courage, ni l’espoir ne me failliront pour les affronter. Je ne demande qu’une chose : si demain je meurs, victime de ces soldats qui sortiront tout armés du sein de la terre, ou si je suis consumé par les flammes des taureaux, que Pélias sache qu’ici seulement nous aurons succombé, et que j’aurais pu retourner enThessalie, si tu avais eu plus de bonne foi. »

Il part à ces mots, laissant le père et la fille plongés dans la stupeur, et sort brusquement de cette cour perfide. Mais tremblante, et comme isolée au milieu des siens, Médée garde le silence ; ses yeux mouillés de larmes ont cessé peu à peu de fixer la terre, pour se tourner vers la porte de l’appartement. Là, elle le voit encore, prêt à partir, et plus beau qu’il ne lui est encore apparu. Faut-il donc ne plus revoir cette noble stature, ces traits divins ! Ne pouvant,