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coup ; on court aux armes ; les chefs s’assemblent en tumulte, alarmés des bruits que sème la grande voix (6, 10) de la Renommée. On dit, en effet, que des Grecs, montés sur un vaisseau sacré, sont venus redemander la toison de Phrixus, leur compatriote, et que le perfide Éétès, par une hospitalité et une alliance trompeuses, les a gagnés à sa cause.

La nuit on tient conseil. On convient d’envoyer des députés pris parmi les chefs. Persès les charge de s’adresser aux Argonautes, et de les avertir que le tyran les trompe ; qu’une erreur fatale les éloigne de leur véritable allié ; que le premier, lui, Persès, a conseillé de rendre la toison, de restituer à sa terre natale la sainte dépouille du bélier ; (6, 20) que ce conseil a suscité la haine et la guerre entre son frère et lui ; qu’ils devraient plutôt embrasser son parti ou se rembarquer, les promesses d'Éétès ne méritant nulle confiance, et se retirer d’une lutte qui ne les touche pas ; qu’apparemment ils n’ont pas traversé tant de mers, pour combattre des gens qui leur sont inconnus et qu’ils ne peuvent haïr. Persès achevait de donner ces ordres, quand la campagne s’éclaira tout à coup d’une sanglante rougeur. Les armes, les trompettes retentirent d’elles-mêmes : Mars, du haut de son char, criait : « L’ennemi vient ; debout, debout ! il approche. » (6, 30) Et les Colchidiens, et Persès, de se répandre aussitôt dans la plaine. Le combat s’engage ; le cri du dieu vole et s’entend d’une armée à l’autre.

Muse qui en fus le témoin, dis-moi les fureurs qui s’exhalèrent aux pieds des monts Riphées, les efforts surhumains de Perses pour soulever la Scythie et la pousser au combat, cavaliers et fantassins, héros que je ne pourrais, eussé-je mille bouches, ni nombrer ni nommer. Ce pays, qui s’étend sous les deux Ourses et sous les immenses replis du Dragon, est plus riche en population qu’aucun autre ; et, malgré les guerres éternelles qui moissonnent ses habitants, son sein toujours fécond les renouvelle toujours. (6, 41) Muse, dis-moi donc seulement les noms de chaque peuple et les noms de leurs chefs.

Anausis menait à sa suite les impétueux Alains et les farouches Hénioques. Jaloux depuis longtemps du roi d’Albanie, parce que ce prince devait être l’époux de Médée, il ne prévoyait pas, l’insensé, de quel monstre il brûlait de partager la couche, à quel terrible spectacle la Grèce était réservée, et combien, privée d’une pareille compagne, il serait lui-même plus heureux, plus favorisé des dieux.

Près de lui sont les Bisaltes. Leur chef est Colaxès, né du sang des dieux, en Scythie, (6, 50) près de la verdoyante Myracé et de l’embouchure du Tibisus. Il fut le fruit de l’amour de Jupiter pour une Nymphe moitié femme et moitié serpent ; bizarre assemblage, dont le dieu, dit-on, ne s’effraya point. Ses soldats portent sur leurs boucliers l’image d’un foudre ailé, aux triples dards de feu. Cet emblème éclatant orne aussi, ô Rome, ceux de tes guerriers ; mais le Bisalte t’avait devancée. Colaxès joint à ce symbole celui de la nymphe Hora, sa mère : ce sont deux serpents opposés l’un à l’autre, et dont les lan-