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de la Colchide, nous vous voyons aussi grand que vous peignit la Renommée. Toutefois ne soyez point curieux de la gloire des Argonautes. (5, 509) Je ne vous demande pas (la vérité a-t-elle besoin de descendre à la prière ?) un bien qui soit à autrui, auquel nous n’ayons pas quelque droit. Croyez que vous le rendrez à Phrixus, et que Phrixus le rapportera dans sa patrie. Recevez vous-même en échange ces présents qui ont bravé pour vous la fureur des mers, cette chlamyde teinte de pourpre de Laconie, ces freins, cette épée enrichie de pierres précieuses. L’épée fut l’arme de mon père, la chlamyde est l’œuvre de ma mère, et jadis un cavalier lapithe a possédé ces freins. Unissons donc nos mains, nos patries ; que mon tyran farouche sache qui règne sous le ciel glacé du Caucase, et combien votre clémence en adoucit l’âpreté. »

(5, 520) Éétès, le visage menaçant, frémissait en entendant ce discours ; sa fureur longtemps contenue s’attise et gronde au fond de son cœur, pareille à la mer calme d’abord, et qui s’émeut jusqu’en ses abîmes dès que l’Aquilon en soulève les flots. Il s’irrite tantôt que cet homme ait tant d’audace, tantôt que ses États soient livrés aux Grecs ; déjà même il regrette d’avoir accueilli trop facilement Phrixus, et dissipé l’effroi qu’inspirait la Scythie. Puis, secouant la tête, il rit de ce jeune présomptueux qui vient follement réclamer la toison au monstre qui la protège. L’ancien oracle aussi lui cause du trouble. (5, 530) Pourquoi ce fatal concours de la guerre de Persès et de l’arrivée des Argonautes ? Les Destins vont-ils s’accomplir, et la toison est-elle aussi redemandée par les Parques cruelles ?

Cependant, son souci le plus pressant, c’est la guerre, c’est le combat qui s’apprête. Il dissimule donc sa rage, et répond avec une feinte douceur : « Je voudrais que vous ne fussiez point arrivés dans ces murs au moment où un ennemi redoutable les assiège, où mon propre frère (tant est vive chez tous les hommes la passion de régner !) prépare ma ruine et me presse de ses nombreux bataillons. Commencez donc par défendre vos alliés, vos parents ; (5, 540) cette guerre vous offre l’occasion de vous rendre illustres, saisissez-la. Le fer d’ailleurs est un appât pour la bravoure ; soyez vainqueurs avec moi, et la toison ne sera pas la seule récompense qui payera vos services. » Jason ne soupçonne pas la ruse : « Puisqu’il faut, dit-il, oubliant les traverses d’une si rude navigation, ajouter ce nouveau péril à nos périls passés, ce jour d’épreuves à ceux que nous avons traversés, j’accepte cette guerre comme une nouvelle loi de mon destin : mais qu’il expie, cet ennemi, par une sanglante défaite, le retard dont il est la cause ! » Et il envoie Castor porter à ses compagnons la réponse d’Éétès.

Ceux-ci attendaient toujours, livrés aux plus vives inquiétudes. (5,550) À la vue de Castor, ils sentirent redoubler leurs alarmes. Tous alors de s’écrier : « Fils de Jupiter, parle, parle ; devons-nous espérer de revoir la patrie ? » « Eétès, répond Castor, n’est pas si farouche que le fait la Renommée, et ne nous refuse pas la toison ; mais, serré de près par un ennemi impie, il