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duit toutes les espèces vivantes : car elle leur fournit la pâture dont tous les corps se nourrissent, et où ils puisent avec la douce vie les germes de leur postérité. Aussi mérite-t-elle ce nom de mère que les hommes lui donnent. (2, 999) Or, tout ce qui vient du sol y retourne ; tout ce que les airs nous envoient remonte vers le ciel, et les airs le recouvrent. La mort anéantit les êtres, et non pas les atomes ; elle ne fait que rompre leur assemblage, pour les assembler encore de mille façons diverses : aussi les êtres changent-ils sans cesse de forme, de couleur ; et dès que le sentiment les anime, le sentiment leur échappe. Juge donc combien importent le mélange, la disposition, les mouvements réciproques des atomes ; (2, 1010) et crois à leur éternité, quoique nous voyions à la surface des choses une matière flottante qui semble ne recevoir la vie que pour la perdre. Quoi de plus essentiel, dans ces vers mêmes, que la combinaison et la place des lettres assemblées ? Car les mêmes qui désignent le ciel, la mer, les fleuves, la terre, le soleil, expriment aussi les moissons, les arbres, les animaux : sinon toutes, au moins la plupart, se retrouvent en mille mots, et leur position seule les distingue. Les atomes agissent de même sur les corps ; (2, 1020) et quand leur intervalle, leur direction, leurs rapports, leur poids, leurs chocs, leurs mouvements, leur ordre, leur place, leur forme changent, les corps doivent aussi changer.

À présent, ô Memmius, sois attentif à la voix de la sagesse : car des vérités inconnues brûlent de se faire jour à tes oreilles, et la nature se montre sous une face nouvelle. Mais est-il des choses si simples qui ne soient, au premier aspect, difficiles à croire ? De même, les hommes ne voient rien de si magnifique, de si admirable, que leur admiration ne finisse par diminuer à la longue.

(2, 1030) Le brillant azur du ciel, la lumière flottante des astres épars dans le vide, la lune, le soleil aux feux éclatants, les émeuvent à peine. Mais suppose que ces astres, encore dérobés aux mortels, leur apparaissent tout à coup et les surprennent : est-il alors un spectacle plus merveilleux, et que les peuples eussent osé moins attendre ? Je ne puis le croire, tant ils exciteront le ravissement des hommes ! Au lieu que maintenant on se lasse de les voir, on ne daigne plus jeter un regard sur les dômes éblouissants du ciel.

(2, 1040) Ainsi donc ne rejette pas de sages idées, parce que leur forme nouvelle te fait ombrage. Pèse-les plutôt avec intelligence : si elles te semblent vraies, rends les armes ; attaque-les, si tu les trouves fausses. La raison me guide : comme des espaces sans fin existent au delà des remparts du monde, mon esprit cherche ce que renferment ces lieux, où la pensée aime tant à plonger un regard avide ; et mon esprit est libre de voler où son essor le pousse.

Établissons d’abord que de toutes parts, en tous sens, de chaque côté, en haut, en bas, le tout universel (2, 1050) manque de bornes : nous avons prouvé le fait, il parle de lui-même, la nature