Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

digne de son aïeul, et dont l’innocence méritait un meilleur sort. (5, 460) Viennent ensuite Stirus, roi d’Albanie, futur gendre d’Éétès, mais dont la guerre a jusqu’ici retardé l’hymen ; Phrontis, Argus, descendants d’ÉoIus, leur frère Mélas, et Cytisore qui brandit une lance légère, tous quatre nés de Phrixus ; enfin des grands de la Colchide choisis pour cette circonstance solennelle, et des rois que la guerre a rassemblés.

Alors Jason fait un signe à ses compagnons, et apparaît, sortant du nuage qui le cachait. Sa figure brille comme une étoile, et cet éclat nouveau éblouit encore les Colchidiens. On entoure ces étrangers ; on leur demande qui ils sont, ce qu’ils veulent, quel sujet les amène ; on les presse de questions. Jason profitant du premier instant de silence, (5, 470) alors que tout murmure a cessé, s’approche du roi étonné, et lui dit : « Fils du Soleil, vous que les dieux ont jugé digne de voir le premier vaisseau chercher votre empire à travers tant de mers, peut-être qu’un héros, né parmi nous, Phrixus vous a entretenu quelquefois de la Thessalie et des Pélasges. Eh bien ! vous voyez en nous des Pélasges qui ont affronté tous les périls de cette immense traversée. Issu du même sang que Phrixus, comme lui je descends d'ÉoIus et de Créthée, et tous deux nous comptons parmi nos ancêtres, Jupiter, Neptune, et Tyro, fille de Salmonée. (5, 480) Ce n’est pas le ressentiment, ce n’est pas l’épée d’un père levée sur ma tête au pied des autels, qui m’ont fait fuir ma patrie ; votre gloire même, quoique répandue dans toute la Thessalie, ne m’eût point attiré sur ces rivages : qui voudrait en effet braver volontairement les horreurs de cette mer et le fracas des Cyanées ? Mais Pélias, roi du plus grand des empires qu’éclaire le Soleil, de tant de cités fécondes en héros, de tant de fleuves aux ondes majestueuses et intarissables, Pélias assujettit mon destin à sa volonté et m’impose des travaux pareils à ceux du grand Hercule, comme moi exilé d’Argos par son roi Eurysthée, le fils de Sthénélus. Cependant nous cédons tous deux à cette contrainte rigoureuse : (5, 490) et puis-je, moi, si loin de valoir Hercule, ne pas obéir ? Pélias veut qu’à tout prix je lui rapporte la toison d’or, et je souhaite que ma soumission à ses ordres, que la certitude de vous trouver plus humain et plus généreux qu’il ne l’espère et ne le désire, me soient des titres à votre bienveillance. Si j’avais voulu conquérir la toison les armes à la main, le Pinde et l’Ossa m’eussent fourni des vaisseaux, et plus nombreux eussent été mes compagnons que ceux qui suivirent jadis Persée et l’intrépide Bacchus. Ce qui m’amène ici, c’est ma confiance en vous, la force et la justice de ma cause, (5, 500) la mémoire de Phrixus dont je partage toute la reconnaissance, et les liens du sang qui m’attachent à vos petits-fils. Cependant les rois de Phrygie et les féroces Bébryces ont éprouvé la valeur de mon bras : suivant qu’on fut pour moi ou généreux ou perfide, j’ai rendu à chacun ce que j’en ai reçu, et montré que nous ne sommes pas seulement les fils des dieux, mais que ce vaisseau même est l’ouvrage de Minerve. Arrivés enfin aux bords si longtemps désirés