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au loin ses regards du côté de la Grèce. Alors, pour conjurer les menaçantes prédictions de Phrixus, Éétès fiança au roi d’Albanie sa fille Médée, qui n’était pas nubile encore.

(5, 260) Cependant le dieu, qui n’épargne jamais les avertissements, épouvantait la ville d’Éétès par des présages, par des menaces, par des accidents surnaturels, et par des signes précurseurs de quelque catastrophe. Un prêtre ordonne de se défaire de la funeste toison, et de la renvoyer en Grèce. Mais le fils du Soleil, se rappelant les avis de Phrixus, s’oppose à ce dessein. Persès, son frère maternel, et le premier après lui par le rang, lui prodigue les reproches, aux applaudissements de la multitude, ravie d’avoir trouvé un chef. Le roi, emporté par la fureur, s’élance de son trône, (5, 270) chasse les grands de sa présence, et fond, l’épée à la main, sur Persès, que son audace et l’inconstance du peuple encourageaient dans ses prétentions à l’empire. Persès fuit, portant les traces de la cruauté de son frère, et va soulever tous les peuples habitants des contrées de l’Ourse. Déjà, suivi d’une foule considérable de rois, il investissait la ville, contre laquelle il avait tenté d’inutiles assauts. Deux jours avaient été donnés de part et d’autre pour brûler les morts, quand, durant la trêve, le héros prédit aux rives de la Colchide y aborda.

La nuit, qui prend pitié des hommes et de leurs maux, (5, 280) avait rendu le repos et le silence à la terre fatiguée. Alors Junon et la fille du grand Jupiter tiennent conseil, et se communiquent leurs mutuelles inquiétudes. « Vous voyez, dit Pallas, à quels ennemis nos bras ont affaire, quelles luttes se préparent dans la Colchide, en quel état est ce pays. Deux rivaux sont en présence ; ici Persès, là Éétès, mais avec des forces inégales : quel parti prendrons-nous ? » « Ne craignez pas, répondit Junon, que je vous refuse les combats que vous demandez. La sueur va bientôt couler sur votre égide, et inonder mes coursiers. J’ai résolu (5, 290) d’appuyer Éétès. Je sais qu’il a le cœur perfide, et qu’il payera d’ingratitude les Argonautes ; mais alors j’emploierai contre lui d’autres moyens, d’autres ruses. » « Soit, reprit Pallas ; car aussi bien je dois unir ma puissance à la vôtre, pour pouvoir un jour ramener Jason dans la Grèce, et placer enfin dans le Ciel son vaisseau, jouet de tant de traverses et l’œuvre de mes propres mains. »

Tandis que les dieux préparaient ainsi le triomphe des Argonautes, jamais nuit ne les attrista, ne les effraya davantage. Ce n’est rien pour eux d’avoir trouvé (5, 300) le Phase, rien d’avoir franchi les Symplégades ; le doute les tourmente et les assiège, jusqu’à ce qu’ils soient introduits dans la ville, auprès d’Éétès. Jason surtout est en proie aux plus vives alarmes ; il roule à la fois dans son esprit mille projets divers. Tel Jupiter, tonnant au haut des cieux, agite les Pléiades, lance la grêle à la chute sonore, couvre les campagnes d’un linceul de neige ; ou bien, ouvrant les portes san-