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regrettés ; on élève au-dessus un tertre de gazon frais, et Jason les recommande à la piété de Lycus.

Les Argonautes consternés ne savaient qui choisir pour diriger le vaisseau. Ancée et l’adroit Nauplius le demandent à la fois : mais la nef prophétique désigne elle-même Erginus, dont les rivaux, vaincus, retournent à leurs rames. Comme un taureau à qui échut l’empire s’avance et passe avec orgueil au milieu du troupeau, unique objet de sa gloire et de ses amours ; ainsi, fier de sa charge, le nouveau pilote s’avance et prend son essor ; car déjà la nuit claire laisse voir distinctement (5, 70) la grande Ourse. La proue fend les ondes, et l’ancre suspendue à la poupe a quitté la grève hospitalière.

Poussé par le Notus, le vaisseau dépasse les tristes contrées baignées par l’Achéron et le Callichorus. Ce fleuve est célèbre par les fêtes nocturnes de Bacchus ; c’est dans ses eaux, dit-on, que le dieu lava ses thyrses, teints du sang des peuples de l’Orient. Eaux du Callichorus, vous vous le rappelez encore, lorsqu’après ses conquêtes il vint ici des extrémités de la mer Rouge, renouvelant ses danses longtemps interrompues, agitant ses cymbales, les cornes humides et ornées de guirlandes de pampre, (5, 80) tel enfin qu’eussent voulu le voir la Thyade de Béotie et l’infortuné Cithéron. Cependant l’active renommée publiait chez les morts les hauts faits des Argonautes, leur future arrivée, sous de meilleurs auspices, dans les régions supérieures du globe, le passage des Cyanées, et la découverte d’une nouvelle mer. Les ombres, qu’émeuvent encore et les affections de la parenté et l’amour de la gloire, brûlent d’élever jusqu’à eux leurs regards ; mais les Destins s’y opposent. Un seul, dont le corps reposait sur ce rivage, Sthénélus obtient de contempler la troupe chérie des Argonautes. (5, 90) Ceint des armes avec lesquelles Hercule l’ensevelit, et tel que le vit jadis l’intrépide Amazone, il apparaît aux héros du haut de l’éminence qui recouvre ses restes. L’onde étincelle comme aux premiers jets du soleil levant, ou comme la nue que déchire l’éclair. Mais bientôt le fantôme disparaît, et rentre en gémissant dans les ombres éternelles. Tandis que Mopsus observe avec effroi ce prodige, il découvre un tombeau sur le rivage, et, voilant sa tête, il fait des libations à l’ombre évoquée. Orphée récite des vers qui ont le pouvoir d’apaiser les mânes, (5, 100) et marie sa voix aux sons de la lyre harmonieuse dont ces lieux gardent encore le nom. Le vaisseau gagne le large ; il vogue au delà du Crobiale, et d’un fleuve, le Parthénius, que les Destins, ô Tiphys, ne t’ont pas permis de voir, que Diane chérit, dit-on, plus que nul autre fleuve, et qu’elle préfère même à l’Inopus, son onde natale.

Bientôt il a laissé derrière soi les hauteurs de Cromna, le Cytore aux buis jaunissants et les rochers d’Érythie. Sur la fin du jour, il rase le promontoire de Carambis, et Sinope, dont la mer réfléchit l’image tremblotante. (5, 110) L’opulente Sinope commande au golfe d’Assyrie. Nymphe jadis peu