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rage, se raniment. « Je te suis, dit Jason, ô qui que tu sois des dieux, et dusses-tu me tromper. » Et se jetant au travers des rochers, il disparaît dans une nuit de vapeurs.

La mer, qui refluait par l’éloignement des Cyanées, faisait avancer le vaisseau ; déjà même, au delà du passage qui s’élargissait, apparaît le jour. (4, 679) Mais la science du pilote, les efforts des rameurs et la force des voiles sont toujours impuissants ; les rochers vont se rejoindre, leur ombre couvre encore le vaisseau ; ils l’approchent, ils le menacent. Alors Junon et Pallas se précipitent à la fois du haut de l’Olympe sur les rochers ; celle-ci en arrête un, celle-là contient l’autre : pareilles toutes deux au laboureur qui, voulant soumettre au joug des taureaux vigoureux, abaisse jusqu’au poitrail leur tête indomptée. En même temps, comme agitée par des feux sous-marins, l’onde bouillonne, se soulève, et recouvre les rochers qui obstruent son cours. Un étroit défilé s’entr’ouvre ; les Argonautes font force de rames pour franchir l’intervalle ; (4, 690) mais la poupe a été touchée, et, ô sacrilège ! une partie de la nef est emportée ; le reste était dû au ciel. Un cri part ; on croit le vaisseau fracassé. Tiphys, échappé le premier au péril, se laisse entraîner par le courant, sans regarder en arrière ; et ses compagnons ne cessent de ramer jusqu’à ce que le cap Noir et l’embouchure du Rhébas soient dépassés.

Ici les bras tombent de fatigue, les poitrines sont haletantes et desséchées. (4, 700) On s’embrasse de joie, comme Alcide et Thésée, quand tout pâles encore, et à peine échappés aux gouffres de l’Averne, ils se rejoignirent avec transport aux premier confins de la lumière. Cependant Jason n’est pas libre encore de craintes ni d’inquiétudes ; mais portant au loin ses regards : « Quelles épreuves, dit il, le Destin nous impose ! Je veux bien que nous arrivions au Phase, que nous en rapportions même, du gré des Colchidiens, la toison d’or ; mais comment franchirons-nous de nouveau ces écueils ? » Il parlait ainsi, ne sachant pas que la volonté de Jupiter, d’accord avec celle de l’immuable Destin, les enchaînait, les fixait à jamais, (4, 710) du moment qu’un vaisseau avait pu les franchir. Alors ces mers, impénétrables pendant de si longs âges, s’étonnèrent tout à coup de porter un vaisseau ; alors apparurent les côtes du Pont-Euxin, ses royaumes, ses nations lointaines. Nulle mer ne se développe sur une plus vaste étendue ; ni celle qui baigne les côtes de la Toscane, ni la mer Egée, ni la mer Méditerranée, dont l’eau ne couvre pas même ses deux sirtes. La terre y verse d’immenses fleuves. Le Danube aux sept embouchures, le Tanaïs, le Bycès, l’Hypanis, le Tyras, (4, 720) l’enrichissent du tribut de leurs ondes ; et les Palus-Méotides se dégorgent à longs flots dans son sein. Le concours de ces fleuves divers dompte l’amertume des eaux de l’Euxin, lequel, par cela même, sensible au souffle de Borée, se durcit plus rapidement dès que l’hiver sévit, et offre une surface tantôt unie, tantôt hérissée de montagnes, selon que les vents du nord trouvent ses flots ou calmes, ou soulevés par les tempêtes. Rasant d’un côté les sinueux rivages de l’Europe, de l’autre ceux de