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à quoi bon votre aide ? Ne croyez pas pourtant que mes maux soient la punition d’un crime ou de ma cruauté. (4, 479) Ému de pitié pour les mortels, je leur ai indiscrètement révélé des desseins mystérieusement conçus par Jupiter, et dont il se réservait seul l’accomplissement subit. De là l’horrible fléau, de là cette cécité qui m’ont frappé, au milieu même de mes prédictions. Mais enfin le courroux céleste s’apaise, et ce n’est pas le hasard, mais un dieu, qui vous a poussé vers ces rivages. »

À ce discours, à ce tableau de si cruelles infortunes, et le Destin sans doute commençant à fléchir, les Argonautes sont touchés jusqu’au fond du cœur. Ils font asseoir Phinée sur des tapis, l’entourent, et regardant partout, sur la mer et dans l’air, l’exhortent à manger hardiment. (4, 490) Tout à coup un tremblement saisit le malheureux vieillard ; il pâlit ; sa main tombe de sa bouche, et, avant même qu’on n’ait soupçonné leur présence, les Harpyes volent déjà au milieu des mets. Leur odeur infecte, leur haleine pareille au souffle de l’Averne leur patrie, empestent l’air. Elles harcèlent Phinée du choc de leurs ailes, le salissent de leurs mains, et se jouent, les mâchoires béantes, au-dessus de lui ; nuée infernale et dont le seul aspect soulève le cœur. Elles arrosent le sol, les tapis, les tables, d’une liqueur puante, font siffler leurs ailes, et enlèvent les morceaux qui leur sont disputés avec une égale avidité. L’horrible Céléno, non contente (4, 500) d’affamer Phinée, repousse encore ses propres sœurs.

Tout à coup les fils de Borée se lèvent en poussant des cris, et s’élancent dans les airs, soutenus sur leurs ailes par le souffle paternel. Effrayé de ce nouvel ennemi, l’essaim impur lâche les débris de sa proie, voltige quelque temps autour de la demeure de Phinée, et prend son essor vers la mer. Les Argonautes regardent attentivement du rivage et suivent de l’œil les monstres dispersés. Ainsi, quand le Vésuve, quand son cratère fatal à l’Hespérie, tonne et fait irruption, l’incendie dévore à peine la montagne, que déjà les cités de l’Orient sont inondées de cendre ; (4, 510) ainsi les Harpyes traversent les terres et les mers, emportées comme un tourbillon et poursuivies sans relâche.

Déjà elles touchaient aux extrémités de la mer Ionienne, à ces rochers que les navigateurs appellent aujourd’hui les Strophades, lorsque fatiguées, hors d’haleine, tremblantes aux approches de la mort et traînant de l’aile, elles implorent avec des cris effroyables le secours de Typhon leur père. Soudain il paraît, enveloppé d’une sombre vapeur, soulève les flots jusque dans leurs abîmes, et dit : « C’est assez poursuivre mes filles : pourquoi vous acharner davantage (4, 520) contre ces servantes de Jupiter ? N’est-ce pas lui qui, bien qu’il porte la foudre et l’égide, les a choisies pour ministres de ses vengeances ? Aujourd’hui encore, c’est à sa voix qu’elles abandonnent la demeure de Phinée ; à sa voix qu’elles se retirent. Bientôt vous fuirez comme elles, atteints par la flèche meurtrière : mais les Harpyes ne manqueront jamais de nouvelle proie, tant que les humains mériteront le cour-