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ses compagnons s’empressent autour de lui et l’embrassent ; c’est à qui prendra ses cestes et soutiendra ses bras. « Salut, s'écrie-t-on de toutes parts, salut, vrai fils, oui, vrai fils de Jupiter ! Gloire au Taygète, à ses illustres palestres, à celui qui le premier en sortit victorieux ! » (4, 330) Au milieu de ces acclamations, on voit couler du front de Pollux quelques gouttes de sang ; le héros, sans s’effrayer, l’essuie du revers de son ceste. Castor orne la tête et les armes de son frère de branches de laurier ; et tournant ses yeux vers le rivage : « Divin vaisseau, s’écrie-t-il, rapporte, je t’en conjure, ces lauriers dans notre patrie ; et jusque-là vogue avec eux sur les flots. »

Il dit ; on immole des victimes, et les Argonautes, après s’être purifiés dans l’eau sacrée pour apaiser Neptune, se couchent sur le gazon. Le vin et les mets (4, 340) sont dressés sur des tables de feuillage ; le dos des victimes est réservé à Pollux, qui, pendant tout le repas, entendit avec émotion l’éloge de ses compagnons, et le sien qu’Orphée chanta sur sa lyre, et qui vida plus d’une coupe en l’honneur de Jupiter vainqueur.

Déjà le jour, déjà les vents appellent les Argonautes. Ils se rembarquent là où le Bosphore vomit ses flots impétueux, qu’Io traversa quand elle n’était point encore une des divinités de l'Égypte, et auxquels elle donna son nom. Alors le pieux fils d’Œagre, le poëte inspiré par sa mère Calliope, racontait à ses compagnons attentifs (4, 350) l’histoire de la fille d’Inachus, ses courses vagabondes, ses exils au delà des mers. « Les premiers humains virent plus d’une fois Jupiter descendre dans les campagnes d’Argos et le royaume des Pélasges, où l’attirait son amour pour la jeune Io. Junon s’en aperçut : enflammée de jalousie, elle se lança du haut des cieux dans l’Argolide ; et cette terre qui lui est consacrée, les grottes complices d’un amour que la déesse allait surprendre, en furent ébranlées. Saisie de frayeur, la fille d’Inachus prit aussitôt, au gré de Jupiter, la forme d’une génisse. Junon, cachant sa douleur sous un visage riant, la flatte, la caresse, (4, 360) et dit à Jupiter : « Donnez-moi cette génisse pétulante, née tout à coup dans les campagnes de la fertile Argos, et dont les cornes ressemblent au croissant de Phébé ; faites ce présent à votre épouse chérie. Je l’aimerai, je lui choisirai des pâturages dignes d’elles et les ruisseaux les plus limpides. » Comment Jupiter eût-il refusé ? Comment eût-il soupçonné Junon et ses projets de vengeance ? Maitresse d’Io, Junon la met aussitôt sous la garde d’Argus, dont la tête, garnie d’yeux qui jamais ne sommeillent, brille comme le voile d’une fille de Lydie parsemé d’étoiles de pourpre. (4, 370) Argus la conduit par des routes inconnues, à travers des rochers et des forêts peuplées de monstres, malgré sa résistance opiniâtre, malgré ses vains efforts pour le fléchir, et articuler les paroles captives au fond de sa poitrine. Elle donne en partant un dernier baiser aux rivages paternels. Amymone pleure ; la naïade de Messéis pleure ;