Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tigue Jupiter de ses gémissements et de ses plaintes : les fleuves et les rochers du Caucase les répètent à l’envi, et le vautour lui-même en est effrayé. On entend aussi la voix de Japhet monter du fond des enfers jusqu’à l’Olympe, malgré les efforts d’Érynnis qui le repousse, et obéit en cela aux ordres du maître des dieux. Touché enfin des larmes des deux déesses et des nobles instances d’Apollon, Jupiter fait descendre des nues la diligente Iris, et lui dit : « Va, qu’Hercule diffère encore le châtiment des Troyens, et qu’il arrache le Titan à son cruel vautour. » (4, 80) La déesse vole, porte à Hercule le commandement de son père ; et le héros, prêt à y obéir, en tressaille d’allégresse.

Cependant les Argonautes, à la clarté des étoiles, laissaient paisiblement glisser leur navire, non sans beaucoup songer au compagnon qu’ils avaient délaissé. Le pontife de Thrace (Orphée), qui sait adoucir les rigueurs des Destins et les misères de la vie, chante du haut de la poupe des vers qui portent le calme et la consolation dans les âmes. Sitôt qu’il fait vibrer les cordes de sa lyre, les regrets amers, le ressentiment, les fatigues, le souvenir même de ce qu’on a de plus cher, cèdent à la douceur de ses accords.

(4, 90) Mais déjà les astres se plongent dans le sein paternel de l’antique Océan ; les coursiers du Soleil rongent leur frein ; Phébus, entouré des Heures, ceint sa tête de rayons, et sa poitrine d’une cuirasse dont les couleurs offrent l’image des douze signes ; il attache son baudrier qui, sous la forme d’un arc, déploie aux yeux des mortels ses nuances que produit l’opposition des nuages ; enfin, il apparaît au-dessus des montagnes qui bornent l’Orient, traînant après soi le Jour du fond de ses retraites lumineuses. Les Vents, à son aspect, ont cessé de souffler.

Les Argonautes découvrent les côtes de la Bébrycie, (4, 100) contrée fertile, et qui cède avec complaisance aux efforts des taureaux. Amycus en est roi. Fiers de sa haute destinée et de l’appui du dieu son père, ses peuples n’ont point de murailles, et ne connaissent ni la justice, ni les lois qui répriment la violence des passions. Semblables aux farouches Cyclopes qui, des cavernes de l’Etna, observent les flots pendant les nuits d’orage, et attendent que les vents jettent sur leurs côtes les malheureux qui doivent servir de pâture à Polyphème, ils parcourent les campagnes, et cherchent de tous côtés des étrangers qu’ils amènent à leur maître. Le barbare les précipite, en l’honneur de Neptune, (4, 110) du haut d’un rocher qui s’avance sur les flots ; ou, s’ils sont de belle stature, il leur ordonne de s’armer du ceste et de combattre contre lui, luttes suivies d’une mort moins indigne de leur valeur.

Neptune voyant arriver là le vaisseau des Argonautes, tourne un dernier regard vers ces rivages et ces campagnes animés jusqu’alors par les combats de son fils, et s’écrie en gémissant : « Toi que j’entraînai jadis au fond de mon empire, infortunée Mélie, que n'étais-tu plutôt l’amante du maître des dieux ? (4, 120) Est-ce là le triste sort réservé à mes enfants,