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à gourmander ses compagnons, et les exhorte à profiter du beau temps. Jason, ébranlé par ses instances, dit enfin aux Argonautes : « Plût aux dieux qu’au moment où je méditai mes projets fatals à la Scythie, l’oracle de Delphes qui m’annonça que le plus vaillant d’entre nous (3, 620) serait retenu par la volonté de Jupiter et du Destin, avant de voir la mer où flottent les écueils, ait été trompeur ! Nul ne sait ce qu’Hercule est devenu, nul ne le peut dire. Toutefois, dans cette incertitude, consultez-vous : voyez si vous brûlez toujours du désir de poursuivre votre route, et alors je me rends à votre appel ; ou si vous voulez attendre encore, battre de nouveau les montagnes ; et alors le temps perdu pourra être amplement réparé. »

Mais les plus jeunes, qu’encourage la jalousie des autres, demandent le départ. S’il est vrai, disent-ils, que l’un d’eux manque à l’appel, (3, 630) ceux qui restent ne sont ni d’une origine moins illustre, ni moins vaillants que lui. Presque tous, enflés par ces vains propos, y applaudissent avec une égale présomption. Ainsi la biche ramène en folâtrant au milieu des forêts les troupeaux de cerfs, le sanglier s’ébat, le loup hurle d'allégresse et l’ourse lui répond, une fois que le tigre belliqueux est passé, ou que le lion s’est retiré dans son antre. Mais Télamon, fidèle à son ami, bouillonne et frémit de colère ; il éclate en reproches insultants ; il se plaint aux dieux, qu’il implore avec chaleur ; (3, 640) conjure ses compagnons eux-mêmes, leur serre les mains, presse Jason, qui se tient les yeux baissés, le supplie, et lui dit en gémissant qu’il ne parle pas plus pour Hercule que pour tout autre de leurs compagnons ; que cependant, comme ils doivent, dit-on, aborder sur des rivages barbares, chez des nations féroces, ils n’auront pas à leur opposer un second Alcide, un bras si vigoureux. À son tour, le magnanime enfant de Calydon, renchérissant toujours sur les mauvais conseils, toujours soutenant avec dureté les avis contraires, rebelle à la voix de l'équité et à ceux qui l’invoquent, anime, excite ses partisans. « Ce n’est pas, dit-il à Jason, parce que nous perdions Hercule, (3, 650) mais par respect pour toi, que nous nous sommes abstenus jusqu’ici de nous plaindre ; nous attendions tes ordres pour parler. Voici le septième jour que l’Auster souffle du haut des montagnes, et peut-être nous eût-il déjà portés sur les rives du Phase. Mais oubliant notre patrie, et comme si, loin d’espérer d’y retourner jamais, nous dussions à Mycènes servir un farouche tyran, nous restons à moitié route ! Si je pouvais endurer quelque part l’oisiveté ou l’inaction, je régnerais aujourd’hui au sein de la paix et de l’abondance dans ma chère Calydon, et j’y vivrais tranquille (3, 660) près de mon père et de ma mère. Pourquoi rester cloués à ce rivage ? Pourquoi lasser nos yeux à regarder les flots ? Crois-tu encore qu’Alcide et ses flèches nous suivront aux champs de la Colchide ? Non ; Junon veille toujours et ne laisse