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l’ombre, ni la chevelure, ni le frémissement de la Naïade qui remonte altérée de baisers, en troublent la limpidité. Soudain elle enlace l’enfant de ses bras, et l’entraîne. Il crie au secours ; il appelle, mais trop tard, son valeureux ami ; le poids de son corps a accéléré sa chute.

Cependant Hercule, au plus haut de la forêt, ébranlait les frênes, et le bruit de leur chute retentissait dans toute la montagne. Il charge de leurs débris son épaule, que recouvre sa peau de lion, et retourne au rivage ; il pensait qu’Hylas, rapportant le produit d’une chasse qui allait rendre leur repas plus abondant, y était revenu par un autre chemin. (3, 570) Inquiet de ne pas voir cet autre lui-même, ni parmi ses compagnons attablés au bord de la mer, ni partout où sa vue peut s’étendre, son amour, vivement alarmé, lui suggère mille pressentiments lugubres. Où est-il ? quel obstacle, quel accident pourraient impunément l’arrêter ? La nuit, qui augmente, ajoute à ses craintes ; bientôt il pâlit ; une sueur froide découle de ses membres. Comme aux approches d’un orage, les nuées, qui s’amoncellent, sombres et menaçantes, font frissonner d’effroi les matelots et les laboureurs, (3, 580) ainsi l’absence d’Hylas trouble le cœur d’Hercule et lui rappelle la haine de sa marâtre. Tout à coup, pareil à un taureau de Calabre qui, piqué par un taon, s’est élancé de son étable et renverse tout sur son passage, il se précipite en furie à travers les halliers et les collines. La terreur gagne au loin la montagne, et la forêt complice de l’enlèvement ; tout tremble de la crainte que donnent cette violente colère, ce sinistre désespoir. Lui, comme un lion qui, blessé par la lance acérée de l’agile Maure, rugit, et croit déjà mordre et déchirer son ennemi, (3, 590) court de colline en colline, son arc bandé, et le cœur plein de rage. Malheureuses les bêtes, malheureux les hommes qui passent à sa portée ! Il marche au hasard, interroge tous les lieux, les ruisseaux, les rochers d’où ils tombent, ces bois qu’il ne connaît que trop. Au milieu de la solitude, c’est Hylas, c’est toujours Hylas qu’il appelle ; et l’écho fugitif et la forêt répondent seuls à ses cris.

Mais, sûrs qu’il reviendra, les Argonautes, qu’invitent les vents favorables, attendaient encore. Tous aimaient le jeune Hylas (3, 600) et la grâce de sa valeur naissante ; mais c’est surtout le nom d’Hercule qu’ils ont à la bouche. Ils l’appellent d’abord de leurs vœux, de leurs larmes ; bientôt incertains, tremblants, ils poussent de longs cris, et allument des feux toutes les nuits sur le rivage. Jason, voyant le calme solennel des montagnes, la mer tranquille et les vents propices, pleure, et reste par attachement pour Hercule. La démarche du héros, son carquois qu’il porte sans en sentir le poids, sa présence parmi ses compagnons, à cette table aujourd’hui triste et silencieuse, où il avalait d’un trait la coupe qu’il saisissait de sa vaste (3, 610) main, et où il rappelait les monstres suscités contre lui par sa marâtre, Jason cherche en vain tout cela.

Cependant la cruelle Junon ne cesse, tous les matins, de faire souffler le vent du couchant ; Tiphys, impatient de tous ces retards, se hasarde