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se dissipent avant même que les parties ne retournent à la matière.

Enfin, tu nous accordes que tous les êtres ne jettent pas des sons ou des odeurs, et par conséquent tu ne les supposes pas tous odorants ni sonores : de même, comme tous ne peuvent être saisis par la vue, tu dois en conclure que les uns manquent de coloris aussi bien que les autres de parfum et de son, (2, 840) et que des esprits pénétrants se les figurent aussi bien sans couleur que sans toutes les autres qualités ou marques sensibles.

Au reste, ne crois pas que la nature dérobe seulement la couleur aux atomes : elle les soustrait au froid, aux vapeurs tièdes, aux vapeurs chaudes ; les empêche de produire le son, et ôte les sucs humides à leur maigre substance, qui ne contient et ne répand aucune senteur. Ainsi toi-même, lorsque tu veux composer un doux parfum avec la marjolaine, la fleur du nard, ou la myrrhe, ce nectar embaumé des narines, tu dois chercher, (2, 850) autant que possible, les huiles les moins odorantes et qui ne laissent échapper aucun souffle fétide, pour ne pas mêler au pur esprit des fleurs un corps infect qui puisse l’échauffer et le corrompre.

De même les atomes, quand ils forment les êtres, ne doivent employer ni odeur ni son, puisque rien ne se détache de leur substance, et que par conséquent le goût, le froid, la vapeur chaude, la vapeur tiède, ne peuvent en émaner. Tout ce qui forme la nature mortelle des corps, (2, 860) la mollesse qui les assouplit, la corruption qui les brise, le vide qui les creuse, sera nécessairement écarté des atomes, si nous voulons asseoir le monde sur des fondements impérissables, qui soient la base du salut universel, et qui empêchent toute la nature de retourner aux abîmes du néant.

Tu dois avouer aussi que les êtres qui sentent naissent pourtant de germes insensibles ; et tout ce que nous avons sous les yeux, tout ce que nous sommes à portée de connaître, loin de démentir et de combattre ce fait, semble nous y conduire par la main, et nous obliger à croire (2, 870) que des éléments inanimés, je le répète, produisent les animaux.

En effet, il est facile de voir que le ver éclot et prend vie dans la fange, lorsque des pluies intempestives engendrent la corruption dans le sol humide. Tout se transforme de même. Les eaux tournent en feuillage, les gras herbages en troupeaux ; les troupeaux changeant de nature se font hommes, et la chair humaine va souvent accroître les forces des bêtes sauvages, ou la substance des oiseaux. (2, 879) La nature forme donc avec une nourriture morte des corps vivants, et elle tire de là tous les êtres sensibles : comme du bois aride naissent les flammes ondoyantes, et comme tout se convertit en feu.

Ne vois-tu pas alors combien importent la disposition, le mélange des atomes, et les mouvements que tous impriment ou reçoivent ?

Pourquoi donc ton esprit, ébranlé par le doute, cherche-t-il des objections vaines, et refuse-t-il de croire que des corps insensibles for-