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La nuit, par son silence, accroît le bruit de ces luttes, de ces cadavres qui tombent ; et comme l’île d’Inarime ou comme le Vésuve exhale des mugissements plus terribles, lorsqu’au milieu de la nuit il éveille tout à coup les cités épouvantées, (3, 210) ainsi se poursuit l’œuvre de destruction ; et cependant les astres restent immobiles, et la Nuit, témoin de ces horreurs, ralentit son char.

Muse, achevons ensemble, achevons le tableau de cette nuit infernale. Tisiphone inquiète a senti le souffle des coursiers du Soleil ; l’ombre s’affaisse, plus pesante à mesure que la lumière approche ; on ne distingue encore ni les enseignes, ni les combattants, ni les morts ; l’acharnement redouble. Dites-moi, Muses, la fureur des Euménides, complices de la Nuit ; dites-moi le fracas des armes, les sanglots des mourants abattus sur le sol, et les mânes envoyés aux enfers par les Argonautes.

(3, 220) Traînant après soi son destin, et fatiguant l’espace de ses courses inutiles, Cyzique croit avoir encore une fois repoussé les Pélasges et jonché la terre de leurs corps ; il triomphe. Mais cette joie, cette confiance, c’est la colère des dieux qui les lui inspire. Tel Céus, au fond du noir Tartare, traînant les chaînes qu’il a rompues et dont l’avait chargé Jupiter, appelle Saturne et Tityus, et aspire, l’insensé, à revoir la lumière ; mais Cerbère et les serpents des Euménides l’ont bientôt repoussé au delà des ténébreux rivages. Cyzique grince des dents, et gourmande ainsi les retardataires : (3, 230) « Ne rougirez-vous jamais de n’avoir de courage qu’à la suite de votre roi ? Que la flûte phrygienne, que les hurlements du Dyndime et la célébration de ses mystères vous appellent, furieux alors, vous tirez l’épée avec enthousiasme ; qu’un prêtre vous présente le fer, votre sang jaillit à son ordre. » Depuis longtemps déjà il insultait la mère des dieux, quand soudain il se sent défaillir ; son ardeur s’éteint, sa course se ralentit, son cœur se glace : il entend rugir les lions de Cybèle, sonner les trompettes ; il voit dans les nuages s’ébranler les tours au front de la déesse. (3, 239) Alors un lourd javelot, lancé par Jason, vient droit à lui à travers les ténèbres, et s’ouvre un large chemin dans sa poitrine. Oh ! qu’il voudrait maintenant n’avoir jamais connu les forêts, jamais perdu ses années au plaisir de la chasse ! Ainsi de toutes parts combattaient les magnanimes Argonautes. Un bruit de pas, un mouvement leur est suspect et les appelle : s’ils se saisissent entre eux, au mot de passe ils se reconnaissent. Si le carnage eût duré jusqu’au jour, c’en était fait du peuple entier de Cyzique ; les femmes seules fussent restées dans la ville, et les maris égorgés sur le rivage.

Mais, le roi mort, Jupiter pensa qu’il était temps (3, 250) de mettre un terme à la rigueur du Destin, à cette horrible mêlée. Tout à coup, et sans que la sérénité des cieux en soit troublée, il fait gronder son tonnerre. À ce signal, les filles de la Nuit, l’infatigable Mars sont saisis d’effroi, et les portes de la Guerre se referment au fond de l’infernal séjour. Les vaincus tournent le dos, et fuient à travers la plaine ; les Argonautes ne songent pas à les poursuivre ; leur courage alarmé s’ar-