Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur apportent du blé, des troupeaux choisis, et du vin, non de Phrygie ou de Bithynie, mais des coteaux fameux de Lesbos, et venu par l’Hellespont. Cyzique lui-même accompagne, en pleurant, Jason jusqu’au rivage ; il le charge de magnifiques (3, 10) présents, auxquels il ajoute encore des vêtements brodés d’or, premier ouvrage des mains de son épouse Clité, un casque et l’invincible épée de son père. Jason, à son tour, lui offre une coupe, un mors de Thessalie ; et tous deux cimentent, en se donnant la main, l’alliance de leurs maisons.

Maintenant Clio, vierge qui as le don de connaître les desseins des dieux et les causes cachées, dis-moi pourquoi cette guerre désastreuse qui éclata tout à coup entre ces deux héros ; pourquoi Jupiter arma l’une contre l’autre ces mains qui venaient de serrer les nœuds de l’hospitalité ; pourquoi ces trompettes ; pourquoi ces vengeances nées au sein des ombres de la nuit ?

(3, 20) Monté sur un coursier agile, l’intrépide Cyzique, épris d’un violent amour de la chasse, battait un jour les forêts du mont Dindyme, théâtre de la fureur des prêtres de Cybèle. Son javelot perça un lion qui traînait habituellement le char de la déesse par les villes de la Phrygie, et qui venait reprendre le joug. L’imprudent vainqueur en suspendit la crinière et la tête aux portes de son palais ; fatal trophée qui révélait la honte de la déesse ! Aussi n’oublia-t-elle jamais cette injure. Quand elle aperçoit, du haut de son tumultueux séjour, le vaisseau thessalien paré des brillants pavois des Argonautes, elle médite quelle catastrophe, quelle mort d’un nouveau genre elle suscitera contre Cyzique ; (3, 30) comment, pendant la nuit, elle allumera, entre ces alliés confiants, une guerre impie, comment elle enveloppera la ville elle-même dans le piège.

Il était nuit ; l’onde murmurait mollement agitée, et les astres inclinés versaient le doux sommeil. Le vaisseau, ses rames relevées, cède au Zéphyre ; il côtoye Procnesse, dépasse l’embouchure du Rhyndacus, qui conserve ses eaux jaunissantes jusqu’au milieu de la mer, et le promontoire de Sylacé, battu par les flots écumeux. Tiphys, qui se guide sur le vent et sur les étoiles, consulte tantôt l’orient et tantôt l’occident. (3, 39) Mais bientôt, par l’ordre des dieux, le sommeil le plus profond qui se fût jamais emparé de lui surprend sa vigilance ; sa main engourdie laisse échapper le gouvernail ; ses yeux se ferment : un coup de vent fait tourner le vaisseau, et le ramène au port de Cyzique.

À peine a-t-il mouillé dans ces eaux bien connues, que l’air retentit du bruit des trompettes, et de ce cri poussé au sein des ténèbres : « L’ennemi est dans le port ; voici, voici les Pélasges ! » On s’éveille. Un dieu semait le trouble et la terreur dans toute la ville ; Pan s’y faisait le ministre de l’implacable colère de Cybèle, Pan qui règne aux forêts, à la guerre ; qui, le jour, se tient caché au fond des antres, et, la nuit, apparaît dans les lieux solitaires ; (3, 50) dont le corps est couvert de poils, et dont le front farouche est hérissé d’une chevelure épaisse ; qui domine de sa voix le son des trompettes, et fait tomber casques et épées, renverse les cochers du haut de leurs roues chancelantes, abat les barrières,