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quand les torrents semblent vouloir l’entraîner dans les vallées. Déjà l’espace qui l’en sépare se raccourcit ; ses traits ailés n’ont plus d’essor. Alors en proie à la colère, au dépit, à une muette honte, et voyant pâlir d’effroi la jeune fille, il jette son arc, porte les regards sur les rochers qui l’environnent ; et celui que le temps, secondé par les orages (2, 529) ou les lames de la mer, n’eût pu détacher, il l’ébranle jusqu’en ses fondements et l’enlève. Déjà, rassemblant ses replis sur la rive, le monstre, la gueule entr’ouverte, est près de sa victime. Debout sur un écueil, Alcide le prévient, et d’abord lui écrase la tête de son quartier de roc ; ensuite il le frappe à coups redoublés de sa noueuse massue. L’animal, refoulé dans les flots, roule et disparaît au fond de leurs abîmes. Cybèle pousse un cri d’allégresse ; les Nymphes, les Naïades y répondent du haut de leurs collines ; les bergers quittent leurs montagnes, leurs sombres vallées, et, transportés de joie, courent en toute hâte vers la ville. (2, 540) Télamon appelle ses compagnons qui frémissent, et voient avec horreur leur vaisseau nager dans le sang. Hercule, sans perdre de temps, vole au haut de l’âpre rocher, détache les mains de la jeune fille, reprend ses armes, remonte, d’un pas triomphant, le rivage affranchi par sa victoire, et marche au palais de Laomédon. Tel, à travers les prairies, s’avance, la tête haute et grandi par la victoire, un taureau qui a reconquis les étables, les bois de sa patrie, et vengé ses amours.

(2, 550) Cependant accourent au-devant de lui la foule des Phrygiens si longtemps prisonnière dans ses murs, et Laomédon, suivi de sa femme et de son fils ; mais triste, et déjà regrettant les chevaux qu’il doit au vainqueur. Le reste des Troyens borde le haut des remparts, d’où ils admirent Alcide et cette armure qui leur est inconnue. Le roi le regardant d’un air farouche, et masquant ses desseins d’une joie hypocrite et d’une fausse tendresse paternelle, l’aborde en ces mots : « Ô le plus grand des Grecs, vous que le hasard seul, et non la pitié pour les maux de Troie, a conduit vers ces rivages, si ce qu’on dit est vrai, si vous êtes le fils (2, 560) de Jupiter, soyez des nôtres, soyez le bienvenu ; car moi aussi, malgré l’espace qui sépare nos deux patries, je suis un rejeton du même sang. Mais, après tant de larmes, après une si cruelle expiation, que vous arrivez tard ! et que la gloire de cet exploit en est amoindrie ! Mais allons, amenez vos compagnons dans ces murs fraternels, et demain vous verrez les chevaux dont je dois récompenser le libérateur de ma fille. »

Il dit, et machine en silence le complot perfide d’immoler Hercule pendant son sommeil, (2, 570) et d’éluder les prédictions de l’oracle, en lui enlevant ses flèches, qu’il savait devoir être deux fois fatales à la ville de Troie. Mais qui pouvait changer la destinée du royaume de Priam ? Elle est irrévocable cette nuit promise aux Grecs, aux descendants d’Énée, à une autre Troie plus puissante. « Nous allons, dit Hercule, aux extrémités du Pont-Euxin ; bientôt nous serons