Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/526

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cendants de l’antique Ilus ; mais la fortune jalouse a abandonné le palais de Laomédon. Ce furent d’abord les maladies, la peste produite par l’infection de l’air, les incendies de nos campagnes, vastes bûchers sans cesse renaissants. Tout à coup un bruit part de la mer ; les flots, le mont Ida, ses forêts, ses antres, en sont ébranlés ; du fond de l’eau monte et sort, en rampant, une bête, un monstre hideux. Nulles montagnes, (2, 480) notre mer même, ne sauraient t’en donner une idée. Une troupe de jeunes filles ravies aux pleurs, aux embrassements de leurs parents, est livrée à sa fureur : ainsi l’ordonne Jupiter Ammon, dont l’oracle nous a dévouées à ce sacrifice ; et le sort qui désigne les victimes m’a fixée à mon tour à cet affreux rocher. Mais si les dieux redeviennent favorables aux Phrygiens, et que tu sois ce héros annoncé par les destins et par nos augures, pour qui mon père nourrit des chevaux blancs dont il fit vœu de payer ma délivrance, viens à mon aide ; sauve-moi, je t’en conjure, sauve Pergame de ce monstre. (2, 490) Tu le peux ; car je ne vis pas cette large poitrine à Neptune quand il éleva jusqu’aux nues nos murailles, ni à Apollon ces épaules et ce carquois. » Ces lieux, le sombre aspect de ce rivage resserré, ces tombeaux, cette atmosphère qui pèse sur la ville, confirment la vérité de ce récit, et rappellent à Hercule les campagnes désolées d’Érymanthe et de Némée, et les marais empestés de Lerne.

Mais Neptune a donné de loin le signal ; les flots mugissent, à l’approche du monstre ; le fléau de Sigée soulève leurs masses amoncelées. Ses yeux étincelants (2, 500) percent à travers la nappe azurée ; ses mâchoires, garnies d’une triple rangée de dents, s’entrechoquent avec le fracas de la foudre ; sa queue se déroule, puis revient sur elle-même ; et sa tête redressée en traîne après soi les replis. La mer, qu’il écrase de son poids, obéit au choc de ses élans sinueux et jaillit autour de ses flancs ; sa marche est une tempête qui, plus terrible que celles de l’orageux Auster, plus furieuse que l’Africus ou qu’Orion menant à pleines guides les coursiers paternels sur l’onde gonflée par leur souffle, le précipite enfin et l’échoue sur le rivage. La perspective d’un combat qui lui plaît enflamme Hercule. (2, 510) Télamon, frappé de stupeur, voit déjà le héros soulever ses bras et grandir sa taille ; il entend ses flèches retentir sourdement au fond de son carquois. Hercule, invoquant son père, les dieux de la mer et ses armes, s’élance sur le rocher ; il frémit à l’aspect de l’onde agitée jusqu’en ses abîmes, et de l’espace immense que le monstre couvre de ses replis. Tel Borée, emportant les nuages des froides vallées de la Thrace, les précipite par delà les monts Riphées, et en obscurcit le ciel presque tout entier ; tel, déployant son corps gigantesque et sa croupe squammeuse, le monstre projette une ombre immense. L’Ida tremble, (2, 520) ses forêts s’entre-choquent, et les tours d’Ilion chancellent sur leurs bases. Hercule saisit son arc, et décoche une nuée de traits contre le monstre, aussi inébranlable que le mont Éryx