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dragons purifiés ! » Elle échappe ainsi aux alarmes, grâce au dieu qui commande le respect autour d’elle, et dont elle sent le souffle inspirateur.

(2, 279) Déjà elle a mis le vieillard en sûreté dans un bois épais, bien loin de cette cité barbare : mais la Peur, témoin de son audace, Érynnis qu’elle a frustrée d’une victime, la troublent jour et nuit. Elle n’ose plus recommencer cette même pompe orgiaque qui n’eût pas trompé deux fois, ni approcher en secret de la retraite de son père : l’infortuné doit donc chercher d’autres moyens de fuir.

Elle aperçoit une barque qui, dès longtemps consacrée à Thétis et à Glaucus, vieillit aux rudes travaux de la mer, exposée jour et nuit aux ardeurs du soleil et aux injures des frimas. Pendant une nuit profonde et silencieuse, elle y mène son père, qu’elle fait sortir du bois à la hâte, et lui dit en pleurant : (2, 290) « Quelle patrie, ô mon père, quelle ville tristement dépeuplée vous abandonnez ! Ô crime ! ô nuit désastreuse ! nuit homicide ! Puis-je, ô mon père, vous confier à cet esquif, ou vous retenir encore au milieu de tous ces dangers ? Mon crime ne serait-il que différé, et payerai-je aussi mon tribut aux Furies ? Entends mes vœux, déesse, dont le char, ami du repos, sort en ce moment du sein des mers : je ne te demande pas pour mon père un royaume, des sujets, de fertiles campagnes : qu’il puisse seulement quitter sa patrie. Quand pourrai-je à Lemnos goûter la joie de l’avoir sauvé ? Quand verrai-je en ces murs des larmes et des remords ? » (2, 300) Elle dit : le vieillard éperdu fuit sur la barque à demi brisée, gagne le large, et arrive en Tauride, à ce temple de Diane qu’arrose le sang humain. Là, déesse, tu lui confies avec ton glaive les terribles fonctions de sacrificateur. Mais toi-même tu ne resteras pas longtemps sur cette plage inhospitalière. Déjà t’appellent la nymphe Égérie, Jupiter Albain du haut de sa colline, et Aricie, désormais sans pitié pour ton seul pontife.

Cependant Hypsipyle monte à la citadelle où s’était assemblé l’horrible conseil des Lemniennes. Assises en tumulte à la place de leurs pères et de leurs époux, elles changent les lois de leur ville déserte, et donnent à Hypsipyle, comme à la plus digne, le sceptre paternel : (2, 310) mais l’honneur en était dû à sa piété filiale.

Tout à coup on signale dans le lointain des guerriers qui s’avancent vers Lemnos à force de rames ; la reine donne l’alarme et rouvre le conseil. Obstinées dans leur fureur, elles veulent aussi s'armer contre eux du fer et de la flamme ; mais Vulcain a calmé l’horrible ressentiment de Vénus. Alors aussi Polyxo, prêtresse chérie d’Apollon, dont la patrie, dont l’origine est inconnue, raconta que la vieille Téthys et le changeant Protée avaient quitté leurs antres du Phare, pour venir, traînés par des monstres marins, aux rivages de Lemnos. (2, 320) Plongeant plusieurs fois dans les flots, elle en ressortit enfin pour expliquer les oracles, qu’elle avait entendus au fond de l’abîme. « Ouvrons, dit-elle, notre rade ; ce vaisseau, croyez-moi, porte des amis. Un