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tante, s’il vient à soulever le poids énorme qui oppresse sa poitrine, et s’il le laisse retomber après d’inutiles efforts.

Déjà le Soleil touche aux bornes de l’Ibérie ; à mesure qu’il s’abaisse, les rênes de son char se détendent ; l’antique Thétys lui ouvre ses bras, et le céleste Titan disparaît enfin dans les ondes frémissantes. C’est l’heure où les inquiétudes redoublent. L’aspect du jour qui s’évanouit, les montagnes, les côtes (2, 40) qu’environnent de sombres ténèbres et qui se dérobent à leurs yeux, le calme même, le silence de la nature, les astres étincelants dont la voûte des cieux est parsemée, tout épouvante les Argonautes. Tel le voyageur égaré pendant la nuit, dans un pays inconnu, essaye de tous les chemins, et ne laisse de repos ni à ses yeux ni à ses oreilles ; il a peur de la nuit, il a peur de l’espace que remplissent les ténèbres, et de l’ombre d’un arbre qui s’allonge devant lui : tels sont les Argonautes. Mais Tiphys les rassure : « Ce vaisseau, dit-il, je ne le conduis pas sans l’assistance des dieux. Minerve ne m’en a pas seulement appris la route : (2, 50) plus d’une fois elle-même a daigné mettre la main à l’œuvre. Ne le sentîtes-vous pas alors que, chassé par la tempête, le jour fit place aux horreurs de la nuit ? Quelles luttes, ô Jupiter, nous soutînmes contre les vents ! Que de fois, grâce à Pallas, les plus fortes lames retombèrent en vain sur elles-mêmes ! Courage donc, ô compagnons ! l’éclat des cieux nous promet une sérénité inaltérable ; Cynthie s’est levée pure, et la face dégagée de rougeâtres vapeurs ; et, pour confirmer ces heureux présages, le Soleil s’est plongé dans les flots, sans qu’un seul nuage ou le moindre zéphyr en troublassent la pureté. D’ailleurs, pendant la nuit, les vents agissent mieux sur la voile et la mer ; (2, 60) dans ces heures silencieuses, la nef glisse plus rapide. Mes regards ne suivent pas non plus ces astres qui abandonnent le ciel pour se baigner dans l’Océan ; tel est Orion, qui déjà précipite sa chute ; tel Persée, qui déjà fait siffler l’onde irritée contre lui. Mon guide est ce dragon qui, enlaçant de ses replis sept étoiles, plane toujours au-dessus de l’horizon, et ne se couche jamais dans les flots. » Il dit, et leur fait observer l’état rassurant du ciel, les Pléiades, les Hyades ; sous quel astre vibre l’Épée, sous quel autre brille le Bouvier. Alors, mêlant avec réserve les dons de Bacchus à ceux de Cérès, ils réparent leurs forces (2, 71) et cèdent bientôt au sommeil. Le navire suit l’indication des astres.

Déjà pâlit l’étoile du matin ; les campagnes blanchissent ; les ours féroces ne rôdent plus autour des bergeries, et regagnent leurs tanières ; quelques oiseaux voltigent au haut du rivage. Déjà hors d’haleine, les coursiers du Soleil ont franchi les sommets de l’Athos et versé la lumière sur toute la surface de la mer. Les rames se meuvent à l’envi ; la proue tremble ; le vaisseau marche. On découvre Lemnos. C’est là, Vulcain, que tu pleures tes infortunes ; (2, 80) les crimes, les fureurs des femmes de Lemnos n’ont pu t’en expulser, ni te faire oublier la reconnaissance que tu dois à cette île.