Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

multueux, évoque les aïeux d’Éson et le petit-fils de Pléione. À sa voix, des spectres accourent ; celui de Créthée, regardant son fils et sa bru plongés dans la tristesse, (1, 740) goûte le sang des victimes, et dit : « Cessez de craindre ; il vole sur les flots ; à mesure qu’il avance, Éa tremble de plus en plus ; mille prodiges, les oracles des dieux la frappent de terreur, elle et les farouches Colchidiens. Quelles destinées l’attendent ! quelle terreur il sème parmi les nations ! Bientôt, fier des dépouilles de la Scythie et de l’amour de ses filles, il va revenir. Plût aux dieux qu’alors ma tombe se rouvrît ! Mais le roi médite contre toi de sinistres desseins ; il agite ses armes fratricides ; il aiguise sa colère. Délivre donc ton âme ; brise les liens qui l’enchaînent à ce corps esclave ; (1, 750) viens ; tu es à moi : voici la foule des ombres vénérées ; voici Éolus voltigeant autour de leurs grottes mystérieuses, qui t’appellent dans les sacrés bocages. »

Alors dans le palais, parmi les serviteurs d’Éson, s’élève un cri lugubre, immense. Les voûtes retentissent de la nouvelle que le roi vient de rassembler des troupes, et qu’il leur a donné ses ordres. La prêtresse quitte précipitamment les autels, le bois qui en alimentait la flamme, et dépouille ses vêtements. Effrayé de ce désordre subit, Éson regarde autour de soi. Que fera-t-il ? Tel un lion, serré de près par la troupe des chasseurs, hésite, contracte ses mâchoires et fronce ses sourcils. Éson est dévoré d’inquiétudes. Ceindra-t-il une impuissante épée, (1, 760) et, à l’âge où il est, l’armure de sa jeunesse ? Excitera-t-il le zèle des grands et d’un peuple inconstant ? Alcimédé étendant les bras et pressant son époux sur son sein : « Moi aussi, dit-elle, vous me ferez partager votre destinée, quel que soit le danger qui approche ; je ne vous survivrai pas ; sans vous, je ne reverrai pas Jason. Assez longtemps j’ai supporté la vie, puisque j’ai pu le voir partir, et ne pas succomber de douleur. »

Des pleurs accompagnent ces paroles. Éson réfléchit alors comment il préviendra les menaces de Pélias, comment il cherchera une mort digne de lui. Son fils, sa maison, (1, 770) le sang d’Éolus, lui font un devoir de périr glorieusement, et non sans combat. Un second fils d’un âge encore tendre occupe aussi sa pensée ; il veut que ce fils apprenne à connaître les grands courages et les grandes actions, et se souvienne un jour du trépas de son père. Il ordonne alors de reprendre le sacrifice. Sous le feuillage d’un cyprès antique était encore un taureau, au poil couleur de rouille, aux cornes ornées de bandelettes d’azur, au front garni de branches d’if, triste, haletant, fatigué de la place qu’il occupe et effrayé du spectre qu’il a vu. La magicienne, suivant l’usage de cette race détestable, l’avait réservé (1, 780) comme la dernière victime, et la plus digne de Pluton. Elle apaise la triple déesse, et conjure pour la dernière fois les divinités du Styx, en prononçant au rebours la formule de ses enchantements ; car le noir nocher des enfers n’eût point, sans cette condition, admis les ombres dans sa barque, et les eût laissées à l’entrée du Tartare. Éson voit le taureau destiné à clore le sacrifice ; il le voue à la mort, et, la main posée sur ses cornes, il prononce ces dernières paroles : « Vous qui, docile