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l'Océan séparait Calpé de la Libye, que l'Italie alarmée perdait la Sicile, (1, 590) et que la mer pénétrait à travers les montagnes. Mais depuis, le maître des dieux tonna sur les Vents épouvantés, et força leur ligue séditieuse d'obéir à un roi. Une double enceinte d'airain et de rocs amoncelés domptent leur fougue. Quand cette fougue va jusqu'à la fureur, et qu'Éole ne peut plus les contenir, de lui-même il leur ouvre les portes, leur livre passage, et apaise ainsi leurs farouches murmures. La nouvelle que lui apporte Borée le fait sauter à bas de son trône : « Éole, dit celui-ci, quel attentat ai-je vu du haut du mont Pangée ! De jeunes Grecs ont fabriqué à coups de hache une machine d'une nouvelle espèce, (1, 600) que meuvent d'immenses voiles, et avec laquelle ils se flattent insolemment de commander aux flots. Et cependant je n'ai pu comme autrefois soulever les mers jusque dans leurs abîmes, captif et enchaîné que je suis ! De là l'audace de ces hommes et leur confiance dans leur navire, car ils savent que Borée a un maître. Laisse-moi submerger ces Grecs et leur téméraire vaisseau. Peu m'importent mes fils ; réprime seulement l'orgueil des hommes, tandis qu'ils sont encore près du rivage thessalien, et que d'autres pays n'ont point aperçu leurs voiles. »

Les Vents frémissent à ce discours, et demandent la tempête. Le fils d'Hippotas lance contre la porte un violent tourbillon ; (1, 610) soudain s'échappent tout joyeux les coursiers de la Thrace, le Zéphyre, le Notus aux sombres ailes, avec sa lignée de nuages et sa chevelure chargée de pluie ; l'Eurus, au front souillé de sables jaunissants. Ils portent les tempêtes, et, tous ensemble roulent avec fracas les flots contre le rivage. L'empire du trident n'est pas seul agité ; le ciel est en feu ; le tonnerre gronde ; la nuit enveloppe l'espace de ténèbres épaisses. La rame échappe aux mains ; le vaisseau tourne, et prête le flanc au choc des vagues mugissantes ; (1, 620) un tourbillon emporte la voile qui flotte au-dessus du mât ébranlé. Quelle fut alors la terreur des Argonautes, quand le ciel étincelait d'éclairs dont les feux éblouissants tombaient autour du vaisseau ; quand l'antenne, tristement penchée, se relevait dégouttant l'eau ramassée dans sa chute ? Novices encore, ils méconnaissent l'orage, et croient que telle est la mer. « Voilà pourquoi, se disent-ils dans leur morne frayeur, nos pères ont craint d'attenter aux flots par leurs téméraires avirons. À peine quittons-nous le rivage, voyez comme la mer Egée frémit et se soulève ! (1, 630) Est-ce ici que les Cyanées s’entre-choquent ? ou bien est-il encore une mer plus effroyable ? Ô terre, n'espère plus en la mer, et qu'un nouveau divorce t'en sépare à jamais ! »

Puis ils répétaient le même discours, et pleuraient à l'idée d'un trépas sans honneur. Le vaillant Hercule regarde ses flèches, sa massue, armes impuissantes ; d'autres échangent de lugubres adieux, joignent leurs mains, et promènent des yeux fatigués sur ce lamentable tableau. Soudain la carène se fend, et reçoit dans ses flancs une immense masse d'eau. Le vaisseau tourmenté, tantôt pivote sous le souffle de l'Eurus, (1, 640) tantôt est