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des tableaux dans le palais de Didon, quoiqu’on n’eût pas encore découvert l’art de la peinture.

v. 864. Jamque adeo scopulos Sirenum advecta subibat Difficiles, etc. On célèbre des jeux, et le rocher dont il est parlé dans la joute navale se reconnaît facilement sur nos grandes cartes de Sicile, et est évidemment le scoglio del Malconsiglio, qu’on observe dans la rade de Tropani. Cet écueil est en pleine mer, à cinq cents toises environ de la pointe formée par le promontoire de Trapé, et à quinze cents toises du fond de la baie, ce qui répond à la désignation de Virgile :

Est procul in pelago saxum spumantia contra
Litora, etc.,

à une grande lieue au nord du port Palinure, à un mille au midi de la ville de Pisciotto, et à plus de trois lieues de Castello-a-marre-della-Brucca, où l’on met Velia. La carte de Zannoni, déjà citée, place sur la côte, parmi des rochers, et près d’une église nommée il Soccorso, un monument appelé encore aujourd’hui le tombeau de Palinure, sepolcro di Palinuro.

Avant d’arriver au Tibre, Virgile signale encore l’Île de Circé,

Proxima Circææ raduntur litora terræ.

C’est aujourd’hui le mont Circelle, promontoire élevé qui est à l’extrémité des marais Pontins. Du temps de Virgile, ce promontoire tenait à la terre comme aujourd’hui ; mais les marais et les lagunes dont il était et dont il est encore environné faisaient penser qu’il avait été une île, que la tradition prétendait être l’île d’Aléa, célèbre dans Homère, pour avoir été la demeure de l’enchanteresse Circé[1]. À la fin, Énée entre dans le Tibre avec sa flotte. « Ils arrivaient, dit Denys d’Halicarnasse, à Laurente, en Italie : l’endroit où ils campèrent a porté depuis ce temps-là le nom de Troie, et est éloigné de la mer de quatre stades. » Ce lieu devait donc être près d’Ostie.


LIVRE VI.

v. 1… Sic fatur lacrimans, classique immittit habenas… Virgile a soin de rassembler toutes les traditions nationales ; il n’omet rien de ce qui peut illustrer les fleuves, les villes, les ports, et tous les lieux d’Italie. Ce n’est pas sans raison que les larmes d’Énée honorent la mémoire du pilote qu’il a perdu. « Les Troyens, selon Denys d’Halicarnasse, arrivèrent d’abord en Italie, au port de Palinure : un de leurs principaux pilotes y perdit la vie, et ce lieu en reçut le nom. De là Énée vint dans un autre port de la Campanie, où mourut Misène, l’un de ses plus illustres compagnons ; et le promontoire voisin s’appela Misène. » (Antiquités rom., liv. I. chap. II.)

v. 229. Idem ter socios pura circumtulit unda. Plusieurs de ces usages religieux se sont conservés dans le christianisme, qui leur donne encore une fin plus noble et plus touchante. Les anciens regardaient avec raison les cérémonies funèbres comme le point le plus important de la police sociale et de la science des mœurs ; et c’est pour cela que les honneurs rendus aux tombeaux tiennent tant de place dans les poëmes grecs et romains.

v. 720. Spiritus intus alit, etc. Cette magnifique idée de l’âme universelle, dont chaque être animé reçoit une faible partie, appartenait à l’école des stoïciens. Ce n’est point là le système de Spinosa, qui confond Dieu et la nature. Virgile distingue fort clairement deux substances.

v. 727. Mens agitat molem, et magno se corpore miscet. C’est l’esprit ici qui donne le mouvement à la matière. L’auteur de Telémaque a très-bien expliqué ce vers de Virgile, en faisant dire à Mentor : « L’âme universelle du monde est comme un grand océan de lumière : nos esprits sont comme de petits ruisseaux qui en sortent, et qui y retournent pour s’y perdre. » (Liv. IV.)

Non tamen omne malum miseris, nec funditus omnes
Corporeæ excedunt pestes : penitusque necesse est
Multa diu concreta modis inolescere miris.

On voit par ces vers que la doctrine du purgatoire est très-ancienne ; elle accorde parfaitement la justice à la miséricorde divine. Le christianisme a fait un dogme fondamental de cette opinion consolante ; il enseigne que la prière des vivants abrège le temps de l’expiation pour les morts, et c’est ainsi qu’il établit des rapports continuels entre le monde présent et le monde futur. C’est un des dogmes les mieux assortis à la nature du cœur humain, et les plus propres à justifier la Providence. Les sectaires qui l’ont rejeté dans le seizième siècle ont donc méconnu à la fois les besoins de l’homme et la bonté de Dieu.

v… Tum se ad Caietæ recto fert litora portum. De Cumes à Gaëte le rivage est en effet en ligne droite.


LIVRE VII.

v. 83… Consulit Albunea, etc. La source Albunen, dont parle ici Virgile, est bien certainement la solfata de Tivoli. Ce point de critique géographique a été bien discuté par Champy (Découverte de la maison d’Horace, t. Il, p. 386 à 398). M. Bonstetten propose avec assurance, comme une découverte qui lui est propre, une conjecture de Champy, et que celui-ci a justement abandonnée. L’ouvrage de M. Bonstetten est intitulé Voyage dans les six derniers livres de l’Enéide, Genève, in-8o, an 13. La confiance que cet auteur a en lui-même est égale à son ignorance ; il regarde Just-Lipse, Cluvier, Kircher, et tous ceux qui l’ont précédé dans la même carrière, comme des pédants qui ne méritent pas même une réfutation.

v. 483. Cervus erat forma præstanti et cornibus ingens, etc. Macrobe, dans son cinquième livre des Saturnales, se récrie beaucoup sur ce passage et sur ceux qui précédent ; et sa critique, surtout pour ce qui regarde le cerf de Sylvie, a frappé de très-bons esprits. On a trouvé ridicule qu’un cerf tué par Ascagne fût la cause d’une guerre dont le résultat devait être la fondation de Rome : plusieurs écrivains ont défendu Virgile ; ils ont observé que la plupart des guerres les plus sanglantes avaient eu une cause plus légère, que quelques-unes même n’en avaient point eu du tout ; et que d’ailleurs le cerf tué n’était point ici la cause, mais l’occasion des combats. On pouvait ajouter qu’il n’est point étonnant que la guerre commençât par un pareil fait.


LIVRE VIII.

v. 630. Fecerat et viridi fetam Mavortis in antro Procubuisse Iupam ;… On a reproché à Virgile d’avoir négligé beaucoup d’événements glorieux dans l’histoire romaine. La défaite d’Annibal, la captivité du roi Persée, les triomphes des Scipions, auraient figuré d’une manière aussi brillante sur le bouclier d’Énée, que plusieurs autres événements moins importants, et dont la vérité a été mise en doute avec beaucoup de raison, tels que la résistance de Coclès, le supplice de Métius, et la victoire de Camille. Cela peut être vrai, mais il ne faut pas oublier que le but principal de Virgile était de parler de la bataille d’Actium ; après avoir pris l’enfance héroïque du peuple romain, il passe tout à coup à l’époque de la plus grande splendeur de l’empire, et il semble réserver tous les ef-

  1. Homère, Odyssée, liv. X, V. 133 ; Strabo, lib. V, pag. 232 ; Theophrast. Histor. plant., lib. I, c. IX ; Servius, ad Virgil., lib. III.