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les engendrent et les accroissent ne peuvent prolonger éternellement leur durée. Les atomes se livrent bataille, depuis le commencement des âges, avec un succès égal. Les éléments de la vie triomphent tantôt çà et là, et tantôt ils succombent : des voix expirantes se mêlent aux cris que les nouveau-nés poussent en ouvrant les yeux à la lumière ; jamais la nuit ne chasse le jour, jamais le jour ne remplace la nuit, (2, 580) sans entendre des vagissements plaintifs, entrecoupés de sanglots qui accompagnent la mort et les sombres agonies.

Un autre fait mérite que tu le graves dans ton esprit et que tu le fixes dans ta mémoire. Dans tout ce que la Nature met à la portée de nos sens, on ne voit rien qui soit formé par un seul genre de principes, rien qui ne provienne du mélange des atomes ; et plus un corps possède de qualités, de puissances distinctes, plus il indique que les espèces sont nombreuses et les figures variées.

(2, 590) D’abord, la terre contient les éléments des sources qui roulent la fraîcheur avec leurs eaux, et qui renouvellent sans cesse la mer immense. La terre contient des atomes de feu, puisque souvent le feu dévore les campagnes embrasées, puisque l’Etna vomit dans sa colère des flammes plus terribles encore. Les moissons florissantes et les arbres fertiles, qui croissent pour la race des hommes, y trouvent leurs germes, comme la tendre feuille des bois et les gras herbages que la terre fournit aux bêtes errantes des montagnes : aussi est-elle nommée la mère puissante des dieux [599], la mère des animaux et la mère des hommes.

(2, 601) Les anciens et sages poëtes des Grecs, quand ils chantent la terre, la peignent assise sur un char, et guidant la course de deux lions sous le joug. Ils enseignent ainsi que ce corps immense flotte suspendu dans le ciel, et que la terre ne peut reposer sur une terre ; les monstres attelés signifient que les bienfaits des pères doivent amollir et dompter le cœur des enfants les plus farouches. Ils lui ceignent aussi le front de la couronne murale, parce que le sol est couvert de remparts élevés et porte des villes : cet emblème dont la Mère des dieux est encore revêtue la rend formidable, quand on promène son image dans le monde. (2, 611) Les solennités antiques du mont Ida la font appeler Idéenne chez tous les peuples divers ; ils lui donnent une bande de Phrygiens pour escorte, parce que ce fut, dit-on, de la Phrygie que les moissons naissantes commencèrent à se répandre dans toutes les campagnes : ils lui assignent des prêtres mutilés [615], afin de nous avertir que ceux qui ne respectent pas la sainteté de leurs mères, et ceux en qui leurs pères trouvent des ingrats, doivent être jugés indignes de créer eux-mêmes une race vivante. La peau tendue des tambours tonne sous la main de ces prêtres ; les cymbales creuses (2, 620) et les trompes mêlent leurs sons menaçants et rauques à la flûte phrygienne [621], dont les accords irritent les âmes. Ils portent devant la statue des javelots, comme la marque d’une violente fureur, pour que les cœurs ingrats,