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autres plantes. De la main gauche ramenant sa tunique autour de ses reins velus, (100) de la droite il amollit sous le pilon l’ail odorant, et broie toutes les herbes qui confondent leurs sucs. Sa main va tournant en rond ; peu à peu chaque plante perd sa saveur propre, et toutes n’offrent plus qu’une seule couleur : ce n’est plus la teinte verte, les parties lactées la repoussent ; ce n’est plus la blancheur du lait, tant les herbes diverses l’ont altérée. Parfois s’en élance une forte odeur qui frappe la narine de Simulus ; et son visage grimaçant accuse l’âcreté du mets. Souvent Simulus essuie de sa main sa paupière larmoyante, et furieux il maudit la fumée innocente. (110) L’ouvrage avançait ; et le pilon, qui d’abord bondissait inégal, tournait pesamment en circuits plus lents. Simulus y verse goutte à goutte la liqueur de Pallas, et le vinaigre aux vifs esprits. Il mêle et remue encore la masse toujours remaniée : enfin, parcourant de ses deux doigts les bords du mortier, il resserre en un seul globe les parties séparées de la pâte, qui prend le nom et la forme parfaite d’un moretum.

Cependant l’active Cybale retire le pain du foyer ; Simulus le reçoit dans ses mains joyeuses ; il n’a plus peur (120) de la faim, et, rassuré pour ce jour contre le jeûne, il entoure ses jambes de deux brodequins égaux, couvre sa tête du bonnet rustique, et, rassemblant sous l’attelage ses dociles taureaux, il les pousse vers son champ, et enfonce la charrue dans la terre.


NOTES SUR VIRGILE.


LES ÉGLOGUES[1].


Églogue I. (V d’après M. Désaugiers.)

Virgile avait été présenté à Octave soit par Pollion, soit, sur sa recommandation, par Mécène. Cette églogue témoigne de l’accueil favorable qu’il avait obtenu du triumvir. C’est un monument de sa reconnaissance, et une des plus belles productions de son génie déjà parvenu à sa maturité. Il avait alors vingt-neuf ans ; et c’était sa cinquième composition pastorale.

v. 66. Et rapidum Cretæ veniemus Oaxem. Servius place l’Oaxès ou l’Oaxis dans la Mésopotamie, et non dans l’île de Crète. Il entend par rapidum Cretæ, lutulentum, quod rapiat albam cretam, de la craie. Saumaise l’a entendu de la même manière. Il place ce fleuve, qu’il appelle Oaxus et qu’il croit être l’Oxus, dans la Scythie orientale. La plupart des autres commentateurs le placent en Crète, quoique Strabon, Pline, Ptolémée, Pomponius Mela, n’en fassent aucune mention. Quelques manuscrits, au lieu d’Oaxem, portent Araxem, ce qui serait une très-bonne leçon. Je me suis décidé pour le sens le plus vraisemblable. Mélibée n’a dans la pensée que des déserts arides et lointains, tels qu’il les suppose aux quatre extrémités du monde alors connu. Il a nommé la Scythie, l’Afrique, la Bretagne, c’est-à-dire le nord, le midi, l’occident : et par l’Oaxis, il doit vouloir désigner l’orient, l’Asie, et non la Crète, trop voisine de l’Italie, et qui était alors très-populeuse et très-florissante. Ptolémée y comptait encore de son temps quarante villes.

v. 74. Insere nunc, Melibœe, piros ! pone ordine vitis. Dans l’églogue précédente, Méris dit au sujet de l’astre de César, sous lequel les moissons et les vignes doivent désormais mûrir : Insere, Daphni, pyros ; Carpent tua poma nepotes. Ici, Mélibée, chassé du champ qu’il avait si soigneusement cultivé, s’écrie avec une ironie amère :

Insere nunc, Melibœe, piros.

Nouvelle preuve que cette églogue doit venir après celle de Méris, et qu’elle fut la cinquième.


Églogue II. (I d’après M. Désaugiers.)

v. 18. Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur. Vaccinium, jusqu’à présent, a été traduit par vaciet et par glaïeul ; mais Linnée, et avec lui nos botanistes modernes, ont reconnu dans cette plante l’airelle, dont le nom vulgaire est le bleuet. Notre grand dictionnaire d’histoire naturelle, à l’article Airelle, vaccinium, cite le vers de Virgile.

  1. Les notes des églogues sont extraites de l’édition donnée par M. Désaugiers aîné. Nous avons cru nécessaire de mettre en regard de l’ordre suivi par nous l’ordre qu’a proposé cet éditeur.