Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/471

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ou préparées par le hasard, ou attirées par ma faute, j’aurai fait du mal à tout ce que j’aimais, à tout, excepté à toi, Minos. »

Cependant la flotte glisse sur les flots, entraînée loin du rivage ; (460) les amples voiles s’arrondissent au souffle soudain du Corus ; la rame plie sous la verte vague qu’elle soulève ; et la plainte languissante de la jeune fille lassée expire dans cette longue course. Elle quitte l’isthme, étroit défilé qu’emprisonnent deux mers, et où fleurit Corinthe, empire du noble fils de Cypsèle : elle côtoie les cimes abruptes qu’infesta Sciron, et le redoutable repaire de la tortue funeste à Mégare, et les récifs rougis du sang de tant d’hôtes. Bientôt elle distingue dans le lointain l’inexpugnable Pirée, et jette de muets et vains regards sur Athènes, qui lui est si connue. (470) Enfin elle voit s’élever dans le lointain, au-dessus des flots, les campagnes de Minos ; elle voit d’un côté les riantes Cyclades, et les Strophades ; de l’autre, le golfe et le vaste port d'Hérée. On laisse Délos, de toutes les terres la plus agréable à la mère des Néréides et à Neptune Égéen. Cythnos se montre avec l’immense ceinture de sa grève écumante ; on glisse à côté de Paros, l’île des marbres ; on longe la verdoyante Donuse, Égine, et Sériphe si riche en graines.

Scylla est emportée sur les eaux, et ballottée par le souffle incertain des vents ; semblable à la frêle chaloupe que traîne avec elle une flotte immense, (480) pendant que l’ouragan d’Afrique se déchaîne sur la mer orageuse. Tant de beauté et tant de misère émurent de pitié la souveraine de l’empire azuré, l’épouse de Neptune : elle métamorphosa les déplorables membres de la jeune fille. Cependant elle ne veut pas revêtir la vierge d’une tunique écailleuse, et exposer cette tendre créature à la dent traîtresse des poissons ; le troupeau d’Amphitrite est trop vorace. Elle aime mieux l’enlever dans les hauts espaces sur des ailes aériennes ; et la terre, pour éterniser son forfait, lui donnera le nom d’Aigrette, d’Aigrette plus belle que le cygne amycléen de Léda. (490) Comme on voit dans la blanche substance de l’œuf germer la tendre ébauche de l’animal, et d’imparfaits ligaments flotter et s’unir par l’effet de la chaleur nouvelle ; ainsi le corps de Scylla répandu çà et là sur les eaux, ses membres, déjà parties indécises de la bête, enfantaient, subissaient mille changements. Ce charmant visage, ces lèvres qui tant de fois provoquèrent les désirs, ce front élégant et large, se mêlent et se confondent ; le menton s’allonge en un bec effilé. Alors sur la ligne qui partage la tête par le milieu, (500) à la cime même, une aigrette de pourpre, comme pour rivaliser avec l’insigne paternel, agite sa pointe mobile. Un moelleux plumage où mille couleurs s’entremêlent revêt de sa légère enveloppe ce corps d’albâtre, et ses souples bras vont s’épanouissant en ailes. Mais le reste est difforme : sur ses jambes hideusement amincies, et que colore le rouge minium, se colle une peau rugueuse ; et ses pieds délicats se hérissent de griffes acérées. Prêter un tel secours à cette infortunée n’était