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marines. Les autres (mais les récits du chantre de Méonie démentent leurs inventions, et c’est en vain qu’ils invoquent à l’appui de leurs fables suspectes de graves témoignages) ont imaginé cent jeunes filles diverses, qui toutes sont, ils l’assurent, la Scylla du poëte de Colophon. La mère, c’est tantôt Lamie, tantôt Cratéis, tantôt Hécate, qui l’eut du monstre aux deux formes. Parfois aussi elle n’est la fille ni des unes ni des autres, et tout ce récit n’est qu’une description symbolique des sales crimes, des fureurs libertines qu’inspire Vénus. (70) Ailleurs c’est une vierge qu’a horriblement défigurée le poison ; vierge malheureuse ! car quelle faute avait-elle commise ? Nue, elle avait, sur un cruel rivage, laissé sa pudeur sans défense aux bras de Neptune ; Neptune seul avait violé la foi promise à sa chère Amphitrite ; et cependant ce fut Scylla qui ressentit, longtemps après, la vengeance de l’épouse outragée. Un jour qu’elle glissait portée sur les mers, l’objet des feux de son époux, Amphitrite, mêla aux flots du farouche Océan les flots d’un sang magique. Ailleurs enfin on assure que, belle entre toutes, mais âpre au gain, et dépouillant çà et là ses amants trop épris d’elle, elle vit subitement des monstres marins, des chiens en furie l’envelopper, (80) et dresser autour d’elle leurs formes horribles. Oh, que de fois ces étonnantes apparitions la firent pâlir ! que de fois elle frissonna au bruit de ses propres aboiements ! C’est que, mortelle, elle avait osé frustrer les dieux des offrandes de l’amour, et s’approprier le prix des vœux d’hymen, dû à Vénus. Environnée du nombreux cortège de ses amants, elle allait, courtisane insolente, exhalant l’injure contre la déesse : mais bientôt l’infamie de sa métamorphose éclata par de justes rumeurs, comme l’atteste la docte voix des papyrus que nous légua Paléphate. Quoi qu’il soit de Scylla, et quoi que chacun raconte de son abominable destinée, (90) croyons tout ; mais qu’il me soit permis de la métamorphoser ici en aigrette, et de distinguer ma Scylla de la foule obscure des jeunes filles.

Vous donc qui tant de fois, lorsque je méditais, poëte véridique, des chants nouveaux, avez comblé par vos faveurs les vœux de mon génie ardent, divines Piérides, qui voyez souvent des dons offerts par moi décorer vos autels et vos chastes lambris, l’hyacinthe et le narcisse au rouge tendre poser leurs fleurs à vos portes, le safran s’enlacer pour vous en guirlandes où alternent les soucis et les lis, et la rose épanouie joncher le seuil de vos temples ; maintenant plus que jamais, déesses, secondez mes travaux de votre souffle propice, (100) et couronnez d’une gloire éternelle ce volume qui va naître ! De toutes les villes répandues autour de la cité royale de Pandion, entre les collines attiques et ces blancs rivages de Thésée, où se déploie au loin la riante pourpre des coquillages, nulle qui ne le cède en renommée à Mégare : c’est que ses remparts furent jadis élevés par Alcathoüs, et par Apollon, qui lui prêta le secours de ses mains divines. Aussi la pierre, imitant les sons aigus de la lyre, vibre-t-elle, comme le chef-d’œuvre de Cyllène, si elle est touchée ; et ces frémissements merveilleux attestent l’antique et glorieux privilège qu’elle tient d’Apollon.