Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/460

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lui, les flammes doriques renversèrent de fond en comble les tours d’Érichthonius. Mais, hélas ! il expia ta chute, ô Troie, par un cruel retour ; il te devait de périr dans les ondes de l’Hellespont.

« Elles firent si bien éclater autrefois les vicissitudes humaines, ces immenses multitudes conjurées contre l’Asie, que nul ne devrait, enflé de ses propres avantages et des faveurs de la fortune, (340) porter son essor au-dessus des nues : près de la gloire est toujours l’envie, qui la brise de ses traits. Ils voguaient vers la haute mer, regagnant leur patrie, les braves Argiens enrichis du pillage des citadelles de Pergame ; un vent propice accompagnait leurs voiles emportées sur l’onde tranquille ; les Néréides faisaient des signaux, les unes de la cime des vagues, les autres penchées sur la courbe des carènes qu’elles poussaient au large. Tout à coup, soit par le décret des dieux, soit par l’apparition d’un astre funeste, la riante face des cieux change d’un bout à l’autre de l’horizon ; la terre et la mer se remuent, tourmentées par les vents et les tourbillons. Déjà se soulevant, l’onde amère veut toucher les astres ; (350) astres et soleil menacent de s’écrouler avec les cieux, et la foudre vient éclater sur la terre. Alors les phalanges, naguère joyeuses, tremblent, enveloppées par d’horribles destinées ; elles meurent, soit à la surface des flots, soit au promontoire de Capharée sur les brisants euboïques, et le long des rivages d’Hérée ; tandis que les dépouilles de la Phrygie égorgée flottent çà et là dans un commun naufrage sur le sein bouillonnant des mers. Mais d’autres héros, leurs rivaux en gloire et en vertus, habitent les mêmes lieux, au centre de l’Élysée : honneur du vaste univers, tous furent enfantés par Rome. (360) Ce sont les Fabius, les Décius ; c’est la race courageuse des Horaces, c’est Camille, dont la vieille renommée ne mourra pas ; Curtius, qui, au milieu même des murs de sa patrie, dévouant sa tête à la fortune des armes, se plongea dans le gouffre béant qui l’engloutit ; Mucius, qui endura volontairement la flamme qui dévorait sa main, et qui brisa, par le légitime ascendant du courage, la puissance du roi des Étrusques ; et Curius, leur compagnon de vertu et de gloire ; et ce Flaminius qui, par un vœu sublime, se livra vivant au bûcher ; c’est donc à bon droit qu’il orne ce séjour des justes. (369) Et vous aussi, je vous y retrouve, Scipions, rapides capitaines, qui fîtes trembler les murs de l’Africaine Carthage, dévouée à vos triomphes. Qu’ils vivent entiers dans leur gloire, ces héros ! Moi je suis forcé de retourner aux sombres lacs de l’Érèbe, que le soleil ne visite point de sa lumière, et de souffrir un dur exil sur les bords du Phlégéton, immense barrière que Minos a jetée entre les vastes prisons du crime et le séjour des âmes pieuses. Il faut que je dise la cause de ma mort : les Furies m’y forcent, debout près du juge redoutable, et toutes hérissées de fouets. Et toi, la cause de mes maux, ton cœur ne te dit pas de m’assister, et, distrait par de frivoles pensées, tu ne m’écoutes même pas. Eh bien, puisque je jette de vains mots aux vents, (380) je m’éloigne pour ne jamais revenir. Toi, hante, toujours joyeux,