Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/459

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sut aussi vaincre ton cœur, épouse de Pluton, et rendre à Orphée son Eurydice. Mais la ramener, il ne le pouvait ; la puissance de Proserpine est inexorable pour la vie. Eurydice, qui ne connaissait que trop les sévères coutumes des Mânes, suivait la route marquée, sans rejeter ses regards au fond de l’abîme infernal, (290) sans corrompre par sa langue imprudente le bienfait de Proserpine. Toi seul, hélas ! cruel, trop cruel Orphée, tandis que tu t’élançais avide de tendres baisers, tu rompis les ordres des dieux. Amour digne de pardon, si le Tartare savait pardonner même une faute légère !

« Mais, à l’opposite, je vois et la demeure des justes et le groupe des héros. Là sont les deux Éacides, Pélée et le brave Télamon, tous deux participant à l’inaltérable joie de leur divin père, tous deux exemples insignes de ces rares hymens que forment Vénus et la Vertu. Celui-ci se laissa ravir aux charmes d’une esclave ; celui-là fut aimé d’une Néréide. (300) Près de ce dernier est assis un guerrier jeune, bouillant, indomptable, s’associant à lui par la gloire ; c’est Achille, qui rapporte des poupes d’Argos les torches phrygiennes que sa farouche vaillance en a repoussées. Oh ! qui ne redirait cette grande guerre qui divisa le monde, et que virent les fils de Troie, que virent les fils de la Grèce, en ces jours où le sang inondait la terre de Teucer, et grossissait les flots du Xanthe et du Simoïs, où le long des rivages de Sigée on vit, guidés par le courroux dévastateur d’Hector, les Troyens, tout prêts, dans leur haine, à lancer sur les navires pélasgiques les blessures, les traits, la mort et l’incendie ? (310) Ida elle-même, la reine de la nature sauvage, Ida, debout sur ses hautes pentes, arme de torches ses fils avides d’incendie ; mère tendre, elle veut que sur tout le rivage rhétéen la flamme triompliante réduise en cendres la flotte consumée. D’un côté lutte le héros Télamonide, et, le bouclier en avant, il presse le combat ; de l’autre c’est Hector, la gloire d’Ilion : tous deux, ardents et impétueux comme la foudre qui éclate au haut des airs, ils agitent, l’un ses brandons flamboyants, pour arracher le retour aux navires d’Argos, l’autre son glaive protecteur, pour écarter des vaisseaux les morsures de Vulcain. (321) Ajax se réjouit de ses glorieux coups, qui sauvèrent la flotte ; Achille, de son plus beau triomphe, alors que, dans les plaines ensanglantées de la Dardanie, il traînait autour de Troie le cadavre d’Hector. Bientôt ils frémissent l’un et l’autre, et s’indignent, Achille d’être tué par Pâris, Ajax de voir sa noble vaillance succomber, mortellement frappée par les ruses d’Ulysse. Le fils de Laërte vient ensuite ; mais il détourne sa face du fils de Télamon. Vainqueur du Strymonien Rhésus et de Dolon, il s’applaudit de l’appui de Pallas ; mais voici qu’il a peur des Cicones, qu’il frissonne à l’aspect des atroces Lestrygons ; (330) voici que la rapace Scylla et son aboyante ceinture de dogues, que le Cyclope de l’Etna, que l’effroyable Charybde, que les lacs aux pâles ombres, que le Tartare infect l’épouvantent. Non loin de là siège la gloire du sang de Pélops, la lumière d’Argos, Agamemnon à la vaste puissance ; guidées par