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bles, teint d’un vert pâle ses grappes tachetées d’or. Tout près était le myrte, qui n’a pas oublié sa primitive destinée. Cependant les oiseaux qui se sont posés sur les larges rameaux font entendre mille chants sur mille tons divers. Au-dessous coulait d’une fraîche source une eau vive, qui s’échappant résonnait avec un doux bruit sur son humble rive : et quoique retentissent à l’oreille les voix assourdissantes des oiseaux, elles ne couvrent pas la vieille plainte des filles des marais, (150) que charme l’onde fangeuse. Écho dans l’air soutient les sons qu’elle relève ; et tout retentit du cri aigu des ardentes cigales. Cependant les chèvres lasses se couchent çà et là, éparpillées sur les hauteurs, parmi les buissons qu’une douce brise confond en les caressant de son haleine murmurante.

À peine le pâtre s’est-il reposé au bord de la fontaine sous l’épaisse feuillée, qu’il sent couler dans son cœur le charme du sommeil. Étendu sur l’herbe, il avait, sans craindre aucun piège, livré ses membres à un profond accablement, et, libre d’inquiétude, il allait savourer sur sa couche de verdure un doux sommeil ; (160) si le hasard n’eût amené pour lui un périlleux moment. Aux mêmes lieux et à son heure accoutumée, un énorme serpent à la peau tachetée allait se déroulant, pour s’enfoncer dans la vase profonde, et s’y cacher aux feux du jour. Sa langue vibrante aspirait au passage l’air qu’elle chargeait de poisons ; il portait en avant, par d’amples mouvements, ses anneaux écailleux ; au moindre souffle il lançait tout alentour d’inquiets regards. À mesure qu’il roule ses orbes sans cesse repliés, il lève plus haut son poitrail aux étincelantes couleurs, et, dressant sa tête altière, il bondit ; une aigrette la couronne, (170) auréole de pourpre aux taches lumineuses ; et des prunelles enflammées du monstre jaillissent de farouches regards.

L’immense reptile mesurait de l’œil tous les lieux à la ronde, quand vis-à-vis de lui se montre le berger étendu. Alors ses pupilles élargies dardent des regards plus ardents ; d’une gueule farouche et plus souvent béante il veut broyer tout ce qui s’approche de ses eaux ; il rassemble les armes que lui donna la nature ; il brûle de rage, il éclate en furieux sifflements ; il tonne, il courbe en cercle volumineux sa masse tortueuse ; des gouttes de sang coulent en longues traînées de son corps ; (180) son souffle va rompre sa gorge. Il allait tout dévorer, quand l’humble nourrisson des vapeurs le prévient, donne l’alarme au berger, et, le piquant de son aiguillon, l’avertit de se soustraire à la mort. Au point même où la fente qui sépare les paupières découvre le diamant qu’elles protègent, le dard léger du moucheron avait frappé le cristallin du vieillard. Lui de bondir, et, dans sa rage, d’écraser et de mettre à mort le pauvre insecte, dont le souffle se dissipe avec le sentiment, et s’évapore. Au même instant il se retourne, et voit le serpent qui de près fixe sur lui sa pruuelle menaçante. Alerte, pâle d’effroi et presque hors de lui-même, il recule, (190) arrache à l’orme voisin une forte branche ; secours qui